Bhowani Junction

Bhowani est un lieu imaginaire en Inde. Enfin, je n'ai trouvé aucune localité de ce nom … C'est un lieu imaginaire avec des personnages imaginaires mais sur une histoire, tellement probable, qui a dû se produire de nombreuses fois.

En quelques mots, une jeune femme, Victoria, métisse de mère hindoue et de père anglais, vit les derniers jours de l'empire colonial britannique en 1947 en ne sachant toujours pas à quelle communauté elle appartient ni quelle communauté rejoindre dans le maëlstrom qui se prépare et va emporter le pays.

D'ailleurs, le film peut donner une impression de cafouillage, d'imprécision voire même de confusion. Je dirais, au contraire qu'il retrace admirablement l'atmosphère que devait vivre l'Inde pendant cette période. Le film s'intéresse, ici, particulièrement aux transports ferroviaires qui ne font que refléter l'ambiance générale où l'ancienne administration tente de survivre, où les représentants du parti du Congrès tentent de prendre pacifiquement les affaires en main alors que des factions plus politisées (communistes ou extrémistes) ont pour objectif, au contraire, de paralyser le pays et d'y installer le chaos. Et au milieu de tout ça l'armée britannique tente vainement de mettre de l'ordre et semble plutôt là pour compter les points.

La mise en scène est très crédible pour rendre cette atmosphère poisseuse, insurrectionnelle avec tous ces importants et inquiétants mouvements de foule, dont on sent qu'un rien pourrait mettre le feu aux poudres. Et pourtant Cukor n'en profite pas pour faire des effets et reste dans une prudente approche où il ne veut être taxé d'aucun manichéisme. On est dans le factuel. On n'est pas là pour parler politique ou de l'avenir du pays. On est juste là pour résoudre les problèmes tels qu'ils se présentent, au jour le jour, avec les moyens du bord. Même si, parfois, certaines actions peuvent éviter le pire, par exemple, empêcher un attentat sur un train transportant Gandhi.

Dans ce contexte, Ava Gardner est sensationnelle dans ce rôle de Victoria. Déjà, ce prénom ! qui signe l'existence d'un autre monde qui ne se préoccupait pas de politique et qui entérinait une situation particulière et banale (le mariage mixte) dans une société anglo-indienne de toute façon très complexe.

Victoria, donc, blanche de peau mais hindoue de cœur. Elle ne se résigne pas à choisir. Profondément ulcérée par la méthode utilisée pour déblayer la voie ferrée encombrée des manifestants, elle rejette tout aussi bien les comportements terroristes.

Un très beau portrait de femme à la fois fragile et forte. Tentée un temps par un mariage hindou et le choix d'une communauté prête à l'adopter (Qu'elle est belle en sari !). Et puis, pourquoi devoir choisir ? Est-ce que le non-choix n'est pas le plus sûr moyen d'assurer cette "Junction" indispensable entre les diverses communautés ?

Stewart Granger incarne le rôle du colonel de l'armée britannique qui nous livre en voix off ses convictions. Intéressant bonhomme qui évolue tout le long du film entre un personnage rigide, parfois odieux, qui découvre, à travers Victoria, la complexité pour ne pas dire l'inextricabilité du pays et de ses gens. À la fin, l'animal est presque devenu humain …

Film peu connu mais qui mérite le détour. Rien que pour admirer le jeu d'Ava Gardner dans le rôle d'une femme métisse, libre, qui refuse de se sentir exclue du pays qui l'a vue naître.