Il n'y a pas de place pour la délicatesse dans le monde moderne

L'histoire peut se résumer à une rencontre manquée entre deux êtres solitaires, dont la relation commence à Cabourg, pour venir s'échouer à Paris. La faute à quoi, à qui ?...C'est un commentaire social acerbe qui prend le pas sur la "romance" entre Béatrice et François, issus de milieux sociaux bien différents.


Le chassé-croisé (très rohmerien) du début de cette rencontre, met en avant la timidité qui rapproche ces deux jeunes gens, par ailleurs assez dissemblables l'un de l'autre: François est un grand maigre énergique, sportif, joueur et ambitieux (aller jouer au casino est son idée, pas celle de Béatrice), la jeune fille elle, est contemplative, épicurienne, petite, ronde, plutôt passive. Plus tard, quand il lui demande ce qui, à ses yeux, le rend différent des autres garçons, Béatrice lui répond qu'il "est poli" avec elle. Or sous la timidité de François se dévoile une certaine rudesse : on sent poindre le mépris du jeune homme lorsqu'elle lui avoue ne jamais avoir eu l'occasion d'aller à la mer, auparavant. Pourtant il y a de jolis moments d'affection mutuelle et de tendresse partagée.


La seule confidente de Béatrice semble être Marylène, qui est plutôt une copine, mais surtout la gérante du salon de coiffure dans lequel elles travaillent ensemble. Marylène, jolie trentenaire (qui a chez elle un poster de Marilyn Monroe => Marylène / Marilyn...) est aussi exubérante que Béatrice est réservée. Marylène ne sait manifestement ni choisir ni intéresser sérieusement un homme. En revanche elle sait se servir de Béatrice, qu'elle surnomme "Pomme", en la prenant sous son aile, à la fois comme faire-valoir et comme bouche-trou / bonne poire/pomme, pour se consoler lorsque ses liaisons fatales tournent mal. Cette Marylène-Marilyn révèle sa dimension pathétique, loin d'être le meilleur exemple à suivre pour la jeune fille qu'elle entraîne. Malgré sa nette différence d'âge et ses sex-périences, Marylène est vide intérieurement, superficielle, instable et déjà aigrie à trente ans. A l'inverse, Béatrice rejette toute forme d'artifice de séduction et ne tombe pas dans ce piège. Tandis que Marylène est incapable de se contenter de plaisirs simples, Béatrice se laisse porter par la vie, son cocon, ses péchés mignons, dans un ronron quotidien qu'elle ne questionne pas. Du moins jusqu'à ce qu'elle rencontre François.


Derrière son allure d'étudiant dégingandé, François est soucieux (des apparences, notamment) et assez étroit d'esprit. Malgré l'ambition qui le ronge (avec son horrible mère sournoise qui lui tient la bride, et dont il cherche l'approbation, en bon fiston qu'il est), c'est un faible et un lâche, qui ne s'avère ni aussi brillant dans ses études ni aussi intelligent qu'il se l'imagine. Il doit en effet s'appuyer sur des amis comme Marianne et Gérard pour réviser, ou se faire accompagner dans les coups durs. Il dit vouloir devenir professeur de lettres ou journaliste, mais n'est pas fichu d'expliquer un mot comme "dialectique" à Béatrice, laquelle met en évidence une certaine médiocrité chez le jeune homme, qui du coup, se met à moins l'aimer puis carrément la rejeter. Pour un type qui se plaît à se distinguer des autres, et qui se considère nettement supérieur intellectuellement à des nénettes comme Marylène, dur dur, hein, François ? Bref, à sa façon, il ne vaut pas mieux que Marylène, puisque lui aussi profite de l'effacement de Béatrice, pour jouer (ne serait-ce que brièvement) les pygmalions avec elle, rôle pour lequel il n'est pas taillé, et dont il se lasse vite. La jeune fille est un cœur simple qui l'accueille volontiers tel qu'il est, mais lui ne parvient pas à l'accepter comme elle est.


Il y a une piquante ironie dans la séquence du parc. Lorsque François compare le paysage qui les entoure, lui et Béatrice, à un tableau de Renoir, voilà qu'il se méprend complètement sur les regards d'un monsieur qui les observe à distance, assis à une autre table, pour esquisser discrètement leurs portraits au crayon...Impulsif, François s'en prend à l'inconnu qu'il pense être un vulgaire dragueur, pour finalement découvrir les croquis sur la table, avant de s'excuser platement. Pauvre François, il n'a pas l’œil.


La vie en société, en couple, plaire ou déplaire, s'adapter ou non à l'Autre...autant de questionnements que soulève le film. Quoiqu'il en soit, en amitié comme en amour, largué ou non, célibataire ou en couple, dans la vie moderne, chacun est prié de se conformer en passant d'une boîte à une autre, de la voiture au cercueil (tel le parcours délimité par un protagoniste du film), avec un horizon qui se restreint un peu plus chaque jour, souvent sans que l'on s'en aperçoive.


"Voilà, on est arrivé au bout", déclare François à Béatrice, au tout début de leur rencontre, après une marche ensemble sur la plage. Prémonition ? Arrivé au bout...de leur relation également, de leurs perspectives, déjà ? Mais il y a Houlgate, plus loin, et après Houlgate ?...


Pourtant dans cette histoire de boîtes, chacun est unique. Comme cette croix blanche au milieu de tant d'autres, sur laquelle Béatrice dépose un coquillage, au cimetière américain. Certains individus sont des coquilles vides, mais pour d'autres il faut prendre le temps ou la peine de regarder de plus près, de s'y intéresser vraiment.


Hélas, François ne fait pas dans la dentelle et n'est pas à la hauteur de ses ambitions. Il ne sait pas non plus établir de lien profond ou durable, défaut que lui reprochent d'ailleurs ses amis Marianne et Gérard, lesquels forment un couple bien assorti (vraisemblablement tous deux de même milieu socio-culturel, ça aide !). Gérard et Marianne incarnent l'harmonie et l'équilibre, auxquels aspire Béatrice. Peut-être qu'elle et François auront effectivement "appris des tas de choses" l'un avec l'autre, comme ils se le confiaient du temps où ils s'aimaient, pour mieux repartir ensuite.

Sam-Regarde
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le 22 oct. 2024

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