Le cinéma de Lionel Baier s'inscrit parfaitement dans la lignée du trio historique helvétique (Goretta, Soutter, Tanner) : libre, anti-conformiste, rebelle, mais aussi tendre et revigorant. Pour preuve, La dérive des continents (à l'ouest) mêle des éléments de comédie, d'absurde et de drame, a priori inconciliables, autour des crises migratoires et de leur (déplorable) gestion par la Communauté européenne. Le film a parfois des allures de satire des institutions, qui n'hésitent pas à maquiller la réalité pour la rendre conforme à leurs politiques, mais il n'est pas que cela. Les retrouvailles d'une mère avec un fils qu'elle a abandonné des années auparavant est aussi l'occasion de confronter les idées de l'une (bureaucrate) avec les convictions opposées de l'autre (activiste), avec intelligence et sans violence, en faisant se croiser l'intime et la morale, sous le soleil trompeur de Sicile. Le rythme et la tonalité de La dérive des continents sont bien différents d'une certaine norme narrative actuelle, n'hésitant pas à parfois s'éloigner de ce qui constitue son noyau central, comme cette visite inattendue à un village détruit par un tremblement de terre qu'un artiste a recouvert d'un sarcophage. Isabelle Carré semble comme un poisson dans l'eau dans cette ambiance douce-amère et forme avec le jeune et prometteur Théodore Pellerin un duo qu'il est tout à fait réjouissant de voir se déchirer et se rapprocher, en une valse à plusieurs temps.