La Dernière corvée est certainement l'un des films les plus méconnus de Jack Nicholson, tourné juste avant Chinatown, l'acteur s'y distingue nettement par quelques éclats, progressant dans son ascension vers un statut de star qu'il ne tarde pas à acquérir. Et pourtant, ce film fait partie d'un courant qu'on peut appeler "la nouvelle vague" du cinéma américain des années 70, ou Nouvel Hollywood, celui de la contre-culture, et le scénariste en est Robert Towne, sorte de symbole de ce courant de cinéastes, acteurs et scénaristes qui se lancent alors dans un cinéma indépendant plus audacieux, plus engagé dans la contestation, et s'affranchissant des conventions de genre.
Cette sorte de road trip s'inscrit donc dans cette tendance symbolisée par une virée hédoniste et irrévérencieuse de 3 matelots dont 2 d'entre eux transgressent les ordres pour en offrir une bien bonne à leur prisonnier victime d'une hiérarchie militaire absurde, avant son incarcération. Le film repose sur ce trio d'acteurs aux relations drôles, touchantes, humaines, où Randy Quaid n'est pas encore tout à fait le grand acteur qu'il va devenir peu après (mais ça monte), et Otis Young, acteur peu connu qui fut remarquable dans la série TV les Bannis (The Outcast) en 1968, et qui contrebalance le jeu de Nicholson qui se permet un beau numéro d'acteur, avec une ou deux scènes outrancières qui rappellent sa prodigieuse scène de gueulard dans Ce plaisir qu'on dit charnel ; lui seul savait faire ça à l'époque. Cette performance fut récompensée à Cannes par le prix d'interprétation ; est-ce que ça a compensé son refus du rôle de Johnny Hooker dans L'Arnaque (repris par Redford) ? nul ne le sait. En tout cas, j'aime bien ce film viril, aux dialogues rapeux, au ton amer et désabusé, et très représentatif de son époque, qui en filigrane dénonce le côté étriqué de l'armée et de la société américaine.