Franchement, moi, au premier abord, j’avais envie de me laisser séduire par cette « fameuse invasion des ours en Sicile ». Belle audace que de ressortir de l’anonymat ce vieux roman pour enfants datant de l’immédiat après-guerre. Belle initiative aussi que d’adopter pour cela un style visuel aussi marqué et original. Et puis que dire ne serait-ce que de ce titre ! « La fameuse invasion des ours en Sicile » ! Moi déjà, rien qu’avec ça, je suis déjà curieux…


Alors certes, d’un côté j’aurais envie de dire que le pari pris par Lorenzo Mattotti est en partie réussi. Bien qu’il suive globalement une structure narrative très classique – celle du conte – ce film parvient malgré tout à exprimer une identité assez singulière au point qu’il a de quoi laisser sa marque dans les esprits. J’évoquais à l’instant le style visuel qui joue pour beaucoup, mais on pourrait ajouter à cela un savoir-faire certain dans la construction de l’intrigue. Le récit est riche en péripéties mais coulisse habilement, notamment grâce à un rythme bien géré, structuré autour d’une narration en trois temps subtilement équilibrée. Grâce à tout cela, oui – c’est vrai – je ne suis pas ressorti de ce film indifférent et c’est tout à son honneur.


Seulement voilà, c’est bien beau de ressortir des vieux romans riches en symboliques et en événements, mais des fois je me dis que c’est quand même un jeu bien piégeux et que ça peut parfois se retourner contre soi. Parce que bon, j’ai beau ne pas avoir lu le roman original, il n’empêche que je n’arrête pas de me demander ce que celui-ci pouvait bien chercher à dire par son histoire d’invasion d’ours. Car ce film est tellement ambigu dans les symboliques qu’il emploie et les valeurs qu’il défend que ça m’a quand même très souvent mis mal à l’aise.


Moi j’ai déjà un premier souci avec cette société d’ours qu’on nous présente clairement comme un groupe incapable de survivre sans son roi. Dès que le pauvre Léonce perd son fiston et sombre dans la déprime, toute la société ourse se retrouve totalement perdue et affamée. Plus personne ne sait rien faire – même pas chasser – si bien qu’il apparait comme bien naturel d’engager toute la population ourse dans une vaste politique d’invasion des territoires voisins et tout ça simplement pour retrouver le prince et rendre le sourire au roi. C’est… – comment dire – particulier comme mode de raisonnement.


Et le problème c’est que toute l’intrigue est pétrie de cette ambiguïté. On nous parle d’invasions, de coups d’Etat, de trahisons, d’actes despotiques… Et même si Léonce n’est pas présenté comme le souverain modèle puisqu’il est crédule et peu réfléchi dans ses prises de décision – de même pour son fils qui sombre facilement dans la débauche – il n’en reste pas moins qu’au final une étrange morale est toujours tirée de tout ça. L’air de rien, le problème n’est jamais la monarchie voire même le souverain. Au fond, tout cela c’est de la faute des intrigants, de ceux qui aiment l’argent et qui viennent troubler les jugements du bon roi et du bon prince. C’est terrible mais, au mieux, j’ai l’impression de voir une redite du « Guépard » de Visconti qui, par dégoût de la bourgeoisie, en est carrément arrivé à faire une éloge de la noblesse. Au pire, j’ai l’impression de voir un film aux mœurs et aux valeurs douteuses qui nous conduit sur une pente bien glissante…


Alors qu’on s’entende bien : je ne pense pas que Lorenzo Mattotti n’ait voulu, à quelconque instant, glorifier les régimes autoritaires qu’ils soient monarchistes ou bien carrément fascistes. Mais j’ai quand même l’impression qu’il y a tout un aspect symbolique qui était présent dans l’œuvre originelle et que Mattotti n’a pas su percevoir ou gérer convenablement. Et d’ailleurs les choix formels pour retranscrire ce conte sont pour moi assez révélateurs du manque de maitrise globale de l’œuvre ici adaptée. La représentation de la nature dans ce film est par exemple, pour moi, un véritable problème. Tout y est géométrique. Rectiligne. Les arbres sont alignés rigoureusement comme des soldats à l’armée. Opérer un tel choix, quand on entend parler de systèmes autoritaires, c’est soit vouloir sous-entendre que le fascisme des ours est inscrit dans la nature elle-même – ce qui l’opposerait en conséquence à la société des hommes qui ne serait que corruption de l’ordre naturel des choses – soit c’est être terriblement maladroit. Et pour avoir lu des interviews de Lorenzo Mattotti, la chose me parait assez évidente : c’est juste de la maladresse. De la très grosse maladresse.


Alors on pourrait dire que c’est un détail. Que c’est anodin. Que ça ne change pas grand-chose au souffle global de l’œuvre. Seulement pour moi c’est loin d’être le cas. Parce que moi, mon rapport à l’œuvre, il se fait surtout par rapport à la démarche de l’auteur ; par rapport à ce qu’il cherche à me transmettre. C’est de la cohérence entre l’expérience sensorielle proposée, l’intrigue développée et le propos tenu que je construis mon ressenti global de l’œuvre. Là, dans cette « fameuse invasion », je ne ressens aucune cohérence. J’ai l’impression que l’auteur a opéré un ensemble de choix qui ne savent pas former un tout ; au mieux un patchwork dans lequel chacun viendra faire son tri en fonction de ce qui l’intéresse.


Du coup le bilan me concernant est finalement assez compliqué.
J’aimerais complimenter les quelques aspects sur lesquels ce film se démarque positivement mais, à bien tout prendre en compte, il m’est difficile de féliciter une œuvre qui m’apparait comme totalement bancale et déconstruite, face à laquelle d’ailleurs je n’ai ressenti que très peu de plaisir, pour ne pas dire pas du tout.


Alors bon, c’est bien gentil l’audace.
Mais, pour ma part, la cohérence, c’est mieux.

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le 3 nov. 2019

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