Yórgos Lánthimos offre, comme avec son Homard, une œuvre littéraire et visuelle qui pose plusieurs questions et qui laisse une trainée de souffre en guise de réponse lorsque le rideau tombe.
La beauté de l’œuvre « La Favorite » est que par ses thématiques personnelles et sa finesse d’écriture, elle réussit à s’attacher à chaque spectateur qui voit le film avec les propres lunettes de ses expériences.
La vision qui suit n’a donc pas la prétention de s’imposer comme la seule possible mais comme celle qu’il m’a été permis de voir.
Sarah Churchill, duchesse de Malborough domine la reine Anne. Cette dernière est totalement sous l’emprise de ses embrassades et des ordres dictés à son oreille. Il y a une réelle valse entre les deux personnages : une beauté qui tourne mais secrètement l’une guide l’autre. Cet amour, si on peut l’appeler ainsi, est sincère, brut et violent. Aucune des deux n’acceptent totalement d’être dépendante l’une de l’autre.
L’équilibre est brisé lorsque Abigail fait sa place dans le marivaudage royal. Son intérêt pour la reine s’accroit au début par curiosité naïve mais se mue petit à petit en quête de pouvoir, d’influence à la cour dans le but de retrouver la grandeur perdue de son rang.
Abigail, avec son teint de rose, peut représenter la passion dans le sens violent et presque religieux du terme. Elle aime, caresse, fait l’amour, violente et séduit. C’est la seule à comprendre et à être touchée par les lapins de la reine, chaque lapin représentant chaque enfant perdu. Elle séduit la reine qui tombe sous le charme sans difficulté. Anne, ayant compris ce jeu, tente de garder cet équilibre et mène sa bataille intérieure : Sarah contre Abigail, la passion contre la stabilité. Le jeu dépasse petit à petit les limites de la bienséance lorsqu’arrive dans les grandes salles du palais rumeurs, manipulations et violences.
Par un jeu tactique et brillant, Abigail « gagne » et Sarah finit exilée malgré un dernier appel désespéré. « Je suis la seule à vous dire que vous êtes laide ». Rien n’y fait. La passion gagne. La sincérité ne peut pas tenir, ne peut pas se plier face à la passion séductrice.
Les dernières scènes sonnent le tocsin. La richesse, l’ivresse et la luxure monte à la tête d’Abigail qui devient instable face à sa victoire. La reine, la fascinante Olivia Colman, se retrouve handicapée de la moitié de son visage et de la moitié de son cœur. Elle ne reconnait plus Abigail et dans une scène finale terrible, face à la fin de sa vie, elle comprend :
Elle a tué l’amour véritable, l’amour qui dit la vérité, l’amour cynique mais l’amour stable et honnête. Et quel était le prix de ce crime ? De vivre avec cette passion qui s’est muée en un monstre terrible. Elle comprend que sa complice est encore pire que sa victime et elle comprend qu’elle a encore perdu un dernier enfant, son plus beau : l’amour inconditionnel. Devant cette terrible lucidité finale digne d’une tragédie grecque, elle transforme Abigail en lapin, symbole de son ultime deuil qui ne guérira jamais.