La favorite débute de la manière la plus horripilante qui soit : réalisation maniérée à l’excès, musique répétitive, utilisation abusive de la distorsion d’image dans le but de provoquer le malaise (et effectivement, la nausée n’est pas loin). Lànthimos propose un cinéma pédant, dont l’intérêt semble ne pas devoir dépasser le quart d’heure de curiosité polie que tout spectateur bien éduqué doit à une œuvre, qu’il a tout de même choisi d’aller voir.
Mais voilà, nous sommes en Albion, là où tout est différent : l’eau s’évacue vers la droite dans les syphons, les femmes de la cour d’Angleterre gouvernent, les hommes sont maquillés, perruqués, insignifiants fantassins envoyés au loin sur des champs de bataille, où les armées sont dirigées à distance par la reine.
La reine Anne, justement, populaire, mais à la santé fragile, sera la dernière de la dynastie des Stuart, qui régna principalement sur l’Ecosse, puis sur l’Angleterre à partir du 17ème siècle . Bien qu’elle ait réussi en 1707 à réunir les deux pays au sein du « royaume uni de Grande Bretagne », son règne fut marqué par son « amitié » avec Sarah Churchill (ascendante de Winston) ; amitié qui se poursuivait frénétiquement dans les alcôves royales, lorsqu’il s’agissait de soigner par tous les moyens, les nombreuses crises de goutte de la reine.
Amie, amante et femme de confiance de la reine, la duchesse de Marlborough (Rachel Weisz) dirigea pour partie le royaume jusqu’au jour maudit où une intrigante du nom d’Abigail Hill (Emma Stone), noble cousine déchue de cette dernière, se présenta à la cour pour disputer le rôle de favorite de la reine (extraordinaire Olivia Colman). Connaissant le goût de Lànthimos pour le malsain, et la dépravation humaine, il n’est pas surprenant qu’il ait choisi de privilégier le traitement de cette relation triangulaire cruelle, même si au détour d’une scène la politique fait parfois irruption de manière tout à fait burlesque dans le film. Car, rapidement, et passé donc ce quart d’heure d’indécision, il devient évident que The Favourite ne sera pas un film historique classique.
A la manière d’une Sofia Coppola qui donnait une tonalité punk à la vie de Marie Antoinette, le réalisateur se détourne des conventions et choisit une improbable alliance entre le tragique (grec forcément) et l’absurde poussé à l’extrême. Rabelais n’est jamais loin, lorsque le cinéaste caricature ses personnages de (basse) cour, les hommes sont grossiers, idiots, organisant des courses de canards à l’intérieur du palais, incapables même pour certains (le duc de Churchill) de passer une nuit avec leur femme. Les femmes, même si leur conduite est souvent outrancière ont beaucoup plus de relief (les trois actrices sont épatantes), et c’est autour de la lutte sans merci que se livrent les deux cousines pour devenir la favorite de la reine que la seconde partie du métrage va s’articuler.
Dès lors, le loufoque va peu à peu s’estomper et laisser place à la tragédie. Chacune des trois femmes va se révéler tour à tour machiavélique (la reine n’aura pour seul but que d’être aimée), féroce mais également fragile et même attachante :
Abigail, traumatisée par son passé de noble déchue cherche avant tout de la considération sociale alors que Sarah aime sincèrement la reine.
Le film trouve donc une certaine unité et les craintes du début s’évanouissent, même les plans panoramiques Fisheye (avec les bords déformés), trouvent leur signification : les décors, ainsi mis en valeur éclipsent des personnages qui manquent d’ampleur. Cependant, La favorite demeure un objet particulier, notamment dans son rythme : il ne s’y passe pas grand-chose et les actes sont autant de séquences qui se succèdent dans un désordre apparent. Pourtant ces scènes apparaissent comme autant d’instantanés qui mettent en valeur à un instant donné l’évolution sous-jacente des personnages et le bouleversement dans les relations.
C’est par exemple lorsque l’on retrouve Emma Stone nue dans le lit de la reine que l’on mesure toute la détermination du personnage qui parait soudain hautement inhumain.
Ce procédé malin fait avec quelques autres toute l’originalité d’une œuvre qui chose rare est produite par une « major » qui ose prendre des risques et s’affranchir des productions standardisées.