Avec son nouveau film, Yorgos Lanthimos continue à sonder la noirceur machiavélique qui habite certains humains, surtout quand le pouvoir est en question.
The Favourite suit le parcours d’une jeune noble déchue qui remonte la pente à grand renfort de trahison et surtout d’ambition telle qu’elle pourrait faire l’objet d’une étude psychiatrique. Abigail (Emma Stone en état de grâce) se présente au service de sa cousine, Lady Sarah (Rachel Weisz en incarnation parfaite de la convoitise égocentrique), favorite de la Reine Anne (sublimissime Olivia Colman qui distille force et faiblesse avec une maestria confondante), femme de pouvoir dans un monde d’hommes.
Avec une férocité et non sans humour, Yorgos Lanthimos profite de l’époque (XVIIIe siècle) et de ses personnages pour poursuivre son investigation des méandres de l’âme humaine déjà perceptible dans The Lobster et The Killing of a Sacred Deer. Digne hériter du cinéma de Stanley Kubrick autant dans sa forme que dans son fond sans être un vulgaire copieur comme on en voit de plus en plus un peu trop souvent, le cinéaste grec utilise sa mise en scène pour fasciner ses spectateurs plus que les impliquer ou nous servir une empathie artificielle, recette devenue reine pour provoquer la fameuse sacro-sainte émotion que l’on mêle à toutes les sauces.
Tout a sens dans son cinéma et appuie son art, vecteur d’une force remarquable à plus d’un titre. Les nombreux plans tournés avec un objectif déformant grotesquement les perpectives ne sont pas juste un jouet esthétique mais invite clairement son auditoire à lui suggérer qu’il est autorisé à voir plus que ce qu’il ne devrait dans cet univers des arcanes d’un pouvoir absolu dégradant. On pourrait trouver que c’est une invitation au voyeurisme mais sa démarche, même si elle peut y avoir recours, va au-delà de cela et cherche à mettre mal à l’aise, à questionner et non à vulgairement divertir. C’est sans doute trop subtil et pas assez manichéen pour qu’on le lui reproche régulièrement sans argument digne de ce nom, comme on l’a fait à Kubrick et comme on aime à fustiger un cinéaste comme Lars von Trier. Ces artistes ne sont pas là pour amuser la galerie ou bêtement lui faire oublier ses tracas quotidiens mais pour sublimer la comédie humaine qui est bien plus souvent cruelle que primesautière. Et c’est en cela que réside le génie artistique parfaitement atteint ici: déstabiliser pour mieux interpeller et sans avoir recours à la moindre prétention mais en se servant de son art pour y parvenir, en déplaise aux esprits les plus formatés qui refusent de prendre les chemin de traverse au lieu de l’autoroute confortablement balisée.
Le formidable trio d’actrices qui ont accepter l’entreprise font transpirer à l’écran l’entreprise du cinéaste et on sent à chacun de leurs mots, à chacun de leurs gestes, à chacune de leurs mimiques et à chacun de leurs silences qu’elle sont en totale adéquation avec l’art de leur réalisateur. Ce film est l’un des plus bel exemple d’étude sur la cruauté et ses conséquences qu’il en devient parfaitement délectable si l’on sait s’y plonger et si l’on ose y pénétrer.