La Femme de l'aviateur c'est sortir dans un Paris où tout ce que nous imaginons devient réel. Dans la vraie vie il est impossible de le faire mais au cinéma nous le pouvons.
Travailler le jour et dormir la nuit, voici le quotidien de François. En voyant un matin sa fiancée Anne sortir de son appartement aux bras de Christian, son ex, puis en le revoyant plus tard à la terrasse d'un café avec une femme blonde, le jeune homme sortira de sa quotidienneté en le suivant, poussé par ses doutes et son imagination. Cette déambulation dans Paris sera alors vécu comme un rêve éveillé pour le protagoniste, lui qui ne sait si tout cela est réel ou pas. Il trouvera cependant un compagnon du nom de Lucie qui sera son Hécate qui l'aidera à trouver le chemin menant à la résolution de son « enquête ». Cette quête devient alors étrange, rendant ainsi la « relation » entre Christian et la femme blonde tout à fait imaginaire. Cette impression est dû à la distance mise entre les observateurs et les observés notamment dans la réalisation des discussions entre les premiers où il y a une grande profondeur de champ nous permettant de voir les seconds, ces plans donnant la sensation que ce qui se trame derrière n'est finalement qu'une idée fantaisiste de François. Eric Rohmer retranscrit alors parfaitement cette idée tout au long métrage. Le fait est que le thème du rêve est une aubaine pour le cinéma du réalisateur qui se base essentiellement sur les jeux de l'amour et du hasard. Toutes les situations du film, du début jusqu'à la fin, sont tellement improbables dans la vie réelle qu'elles relèvent davantage du rêve que de la réalité.
Si dans ce métrage le songe est permis, c'est surtout grâce au fait que ce soit une œuvre cinématographique, le cinéma étant communément connu comme étant l'art faisant le plus rêver. L'intrigue rocambolesque du film semble tiré d'un roman – chose que François n'aime pas – pourtant le cinéma la rend si réelle notamment parce que Rohmer, par la simplicité de sa réalisation et la qualité de ses dialogues, réussit à rendre crédible ces situations. La rencontre entre François et Lucie dans le bus est la représentation même de cette idée. L'insistance de ces jeux de regards par l'utilisation d'un simple champ/contrechamp offre à cette séquence quelque chose de réel que nous avons tous vécu. Néanmoins, là où dans la vraie vie la rencontre s'arrête à ces regards, la fiction la poursuit par la parole, comme si elle favorisait l'imagination au détriment du réel. Ce dernier reprendra malgré tout ses droits par le biais de la photographie. Elle est le seule moyen de sortir de sortir du rêve et de la fiction. La photo d'Anne capte l'air triste qu'elle ne montre jamais ; la photo de Lucie ne montre pas la femme blonde car ce n'est pas elle la femme de Christian ; la photo de Christian nous révèle l'identité de la femme blonde et de sa femme. La photographie révèle ce qui est vrai.
Malgré son titre assez évocateur, ce n'est pas la femme de l'aviateur le sujet du film. Le sujet de celui-ci est François. Le point de vue du métrage est constamment le sien, chose montré explicitement par l'ouverture et fermeture de l'objectif lorsqu'il dort. En étant le sujet principal, sa relation avec Lucie le devient elle aussi. Cette relation happe l'attention du spectateur tout au long du film. Nous venons même à nous désintéresser de leur objectif. Au bar le plan où nous voyions l'entrée de l'immeuble où sont Christian et la femme blonde, se voit remplacer par des plans se concentrant sur François et Lucie comme si ce qu'ils se disaient était plus important que ce qu'ils regardaient. Plus généralement, ce que font Christian et la femme blonde n'a pas d'importance. La révélation sur l'identité de la femme blonde nous est d'ailleurs indifférente puisque nous préférions suivre François dans ses aventures rêveuses et sentimentales.
Ces aventures, précédemment évoqués, sont pourtant toutes voués à l'échec. En effet, François est un personnage trompé du début jusqu'à la fin. Il pense avoir le pouvoir de décision sur sa vie et sur les femmes alors qu'il ne décide absolument rien. Le jeune homme est par exemple quasiment tenu en laisse par Anne, une femme qui normalement ne devrait pas lui plaire. Cette dernière est une femme indécise qui ne sait pas ce qu'elle veut. Son rapport avec François forme le point faible du film. En effet, Anne ne sait pas sur quel pied danser avec lui et au vu de comment elle le traite, il est difficile de comprendre ce qu'il fait encore avec. Anne reste néanmoins attachante de part sa fragilité. Nous aimerions que François puisse lui convenir pour lui redonner le sourire mais c'est compliqué vu les différences qu'ils subsistent entre les deux. Anne est quelqu'un qui s'enferme et qui n'arrive pas à exprimer ses pensées. François est pareil, pourtant c'est en sortant dehors avec Lucie qu'il réussit à extérioriser. Sa relation avec l'adolescente est la plus intéressante car l'alchimie et les dialogues sont bons. De plus, bien que nous passions plus de temps avec elle qu'avec Anne, l’entièreté des séquences avec la plus jeune semble moins longue que la dernière avec la plus vieille. Malgré tout, cette relation ne mènera à rien puisque ce sera Lucie qui donnera une leçon finale à François. En la voyant aux bras de son ami, François comprendra que ce sont les femmes qui décident et non les hommes. Dans l’entièreté de ce rêve, François n'a jamais rien contrôlé, il n'a jamais été lucide.
Après avoir réalisé ses propres rêves, Rohmer revient à un cinéma qui lui sied davantage. La Femme de l'aviateur n'atteint pas la maîtrise de ses contes moraux que ce soit au niveau de ses thèmes ou de son rythme, cependant il reste une véritable bouffée d'air frais, et nous donne envie de partir à la rencontre des inconnues de Paris.