En 1981, Eric Rohmer avait donc mis fin à sa célèbre suite de "Contes Moraux" et le premier film de son nouveau cycle, "Comédies et Proverbes", témoignait d'une véritable rupture de ton, qui plus est extrêmement réussie. Désormais moins intellectuel - ou plutôt moins théorique -, l'univers rohmerien s'ouvrait avec "la Femme de l'Aviateur" aux faux-semblants, à l'impermanence cruelle des sentiments, et surtout, surtout, "à l'air du temps". Et gagnait du coup une magie qui lui permettrait de transcender les constructions toujours un peu théâtrales de ses scénarios, aussi bien que l'élégance littéraire de ses dialogues.
Le cœur de "La Femme de l'Aviateur", soit l'illustre - et longue - scène de filature / marivaudage au Parc des Buttes-Chaumont, est bel et bien une splendeur, peut-être ce que Rohmer a fait de mieux de toute sa carrière. Tourné en 16 mm dans les rues de Paris avec un naturel éblouissant, en laissant - un peu à la manière de Rivette - le hasard guider les pas des acteurs et de l'équipe de tournage, "la Femme de l'Aviateur" est le genre de miracle modeste que seul le cinéma français - et encore, celui issu de la Nouvelle Vague - semble pouvoir produire. La finesse des dialogues et l'artifice des situations vient en permanence contrebalancer l'aspect quasi-documentaire du filmage en extérieurs, comme si Paris était pour Rohmer un grand studio à ciel ouvert, un immense plateau de théâtre.
Ce qui trouble néanmoins le spectateur, c'est le choix perturbant de Rohmer de ne pas terminer son film sur ces hauteurs vertigineuses, et de nous infliger - littéralement - une scène de rupture / réconciliation torturée et torturante, portée par une Marie Rivière qui n'a jamais été aussi brillante, et donc aussi insupportable. Cette "redescente" impitoyable, dénudant et trivialisant les jeux de l'Amour, fait mal... et ce avant que Rohmer nous inflige un dernier "twist" surprenant, laissant son faible héros tristement désemparé ("On ne saurait penser à rien", tel est le proverbe abscons et absurde du film), mais peut-être pas autant que le spectateur. Qui n'a alors plus qu'une envie, revoir immédiatement "la Femme de l'Aviateur" !
[Critique écrite en 2017, en reprenant des éléments écrits en 1982 et en 1991]