Film particulier pour moi. Je l’ai vu à sa sortie en salle, j’avais 12 ans. C’était une époque bénie où le cinéma ne coûtait rien ; j’y allais deux trois fois par semaine. Je dévorais du ciné comme un affamé ; je m’en remplissais. Et j’ai le souvenir que ce film m’avait fait un drôle d’effet dans la masse que j’avais déjà ingurgité.
Notamment par rapport à Coluche. Je n’avais pas vu “Tchao pantin”, que je vis plus tard en VHS. “La femme de mon pote” était pour moi le premier film où Coluche ne faisait pas le pitre. Et pourtant, on l’y retrouvait un peu tout de même, dans sa manière de parler, sa gouaille. Certes, il n’a pas le même tonus, l’entrain habituel. Mais, outre ses problèmes personnels durant cette période, considérons bien qu’un scénario de Bertrand Blier ne porte guère à l’outrance et la grimace. L’humour vient des situations et parfois des dialogues. Le cinéma de Blier se distingue essentiellement de cette propension des personnages à tenir des discussions étranges poussant l’absurde jusqu’à ses extrémités, d’où l’humour surgit avec plus ou moins de mélancolie parfois ou un certain désenchantement. Bref, la petite musique des mots de Blier ne s'accommode pas bien des pouet-pouets comiques ordinaires. Par contre, la verve de Coluche, son bagou populaire fonctionne ici très bien.
“La femme de mon pote” n’est pas le meilleur de Blier, loin de là. Je lui préfère nettement le génial “Buffet froid”, mais il est tout de même bien au dessus de ses films ultérieurs où le cinéaste semble s'être un peu fourvoyé dans des sentiers qu’il aurait mieux fait de ne pas battre.
Ce qui peut plomber la lecture de ce film, c’est son rythme alangui, contemplatif par rapport à des dialogues qui demandent à mon avis un peu plus de peps. J’ai eu le sentiment qu'après 50 minutes, il y avait comme un creux, un ventre mou où l’ennui guettait, et puis la fin redonne du souffle à l’intrigue.
Ce qui m’a davantage plu est à voir du côté du personnage joué par Isabelle Huppert, très ambiguë, dont la liberté n’est peut-être pas tout à fait réaliste (évidemment puisqu’on est dans une farce absurde avec ce ménage à trois improbable) mais dont la justesse de jeu dans la perversité est impressionnante.
Le jeu de Thierry Lhermitte me plaît moyennement : il y manque quelque chose. Sa fièvre amoureuse manque de chair.
Coluche est triste à souhait, comme je disais plus haut. Il est assez juste, toutefois on sent une retenue qu’il n’y aura pas dans “Tchao pantin”. Sans doute que son implication, son intimité avec l’histoire et ses déboires existentiels y sont pour beaucoup, bien entendu.
La réalisation de Bertrand Blier m’intrigue. L’usage du CinémaScope est curieux ; il ne paraît pas indispensable, surtout avec un film tourné presque en huis clos finalement. Il n’y a guère d’espace à remplir. L’horizontalité du cadrage n’est pas utilisée sauf quelques plans lointains, d’ensemble sur quelques scènes. On a droit à quelques doux travellings qui donnent un peu de vie à certaines scènes, mais l’essentiel du film se joue sur le talent des acteurs, leur interaction, sur les visages. Alors pourquoi un CinémaScope ici? Je ne sais pas.
De fait, ce film m’a marqué. Je l’ai revu plusieurs fois pour comprendre ce qui me plaisait ou pas. Aujourd’hui encore je reste perplexe. Je n’arrive pas à me détacher d’une sorte de fascination pour ce trio d’acteurs, cette alchimie bizarre que le scénario propose peu à peu, par cet univers très en adéquation avec son époque finalement, où l’interdit n’existe plus trop, où Blier peut tout de même encore passer pour un excentrique, à défaut d’un avant-gardiste. Coluche tâte de l’encre noire d’un jeu de plus en plus triste. L’ensemble n’a pas donné un grand succès. Il n'empêche, il y a un petit quelque chose, un mystère qui demande une explication, qui me plaît bien de traquer de temps en temps, toujours en vain, sans doute par nostalgie parce que vu à l’aube de ma cinéphilie.
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