J’ai trouvé ce film très intéressant pour plusieurs raisons qui dépassent largement les personnages principaux. J’avais d’ailleurs hésité à aller le voir, étant peu attiré par les biopics, et n’étant pas spécialement amateur de l’œuvre musicale de Tchaïkovski auquel je préfère Moussorgski par exemple. Il m’a semblé que ce film est avant tout révélateur de ce qu’a pu être un ressort très délétère de l’histoire peuple russe et qui pèse encore malheureusement sur lui aujourd’hui. Je suis en effet persuadé qu’il y a eu en Russie un immense sentiment de culpabilité, origine d’un masochisme moral qui a toujours plombé cette société dont on devine combien elle allait mal au XIX° siècle en lisant Dostoïevski ou Tchékhov. Cette épouse du compositeur russe qui fait elle-même son malheur en épousant un homme qui ne l’aime pas et ne l’aimera jamais en est une parfaite illustration. Il y a en elle de la folie (la véritable Madame Tchaïkovski a en effet fini ses jours dans un asile…), mais une folie qui la dépasse, une folie ambiante qui transparaît dans ces scènes de rue, violentes, inquiétantes. L’héroïne est écrasée par toutes ces forces dominatrices, notamment l’église orthodoxe qui lui ont appris la soumission, et qui écrase le peuple, comme ces mendiants misérables, pieds nus dans la boue. Si la première tentative d’établissement du communisme a malheureusement échoué, grevant les tentatives ultérieures, c’est aussi en raison de ce masochisme moral qui traverse la société russe mais qui, au-delà de la Russie, se rencontre également ailleurs, un peu partout dans le monde. Serebrennikov filme cette aliénation avec inventivité : les cadrages plongeants dévoilent l’écrasement et la soumission du personnage, les quelques scènes oniriques offrent un décalage révélateur avec celles qui nous montrent la triste réalité. Il a eu aussi l’intelligence de ne pas trop charger le célèbre compositeur russe, lui-même victime des préjugés et des règles absurdes de son temps.Le psychanalyste Jacques Lacan disait que l’amour, c’est toujours réciproque, quel dommage que Madame Tchaïkovski ait vécu trop tôt pour le lire… 

chmur
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le 24 févr. 2023

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