Coproduction franco-allemande tournée en plein cœur de la Somme lors de l'hiver 1979, La Femme Enfant est le seul et unique film réalisé par Raphaëlle Billetdoux, écrivaine de son état qui s'est vue récompensée du prestigieux prix Renaudot en 1985 pour l'un de ses ouvrages. En perpétuelle relation conflictuelle avec sa mère IRL, elle rédige le scénario de La Femme Enfant sans passer par la case roman. Un script qui narre principalement les rapports de dissension au sein d'une famille où la communication manque effroyablement à l'appel.
Élisabeth a 13 ans et partage son temps entre l'école, l'apprentissage de l'orgue dans l'église du village et ses secrètes visites matinales chez Marcel, un jardinier muet considéré comme "simplet" par les villageois. Un homme solitaire bien plus âgé qu'Élisabeth pour qui il ressent une adoration pudique et sans aucune ambiguïté. Depuis l'âge de 10 ans, la fillette s'échappe en bicyclette pour le retrouver, vivant ainsi à ses côtés des moments de partage que sa famille ne sait en aucun cas lui offrir. Mais Élisabeth grandit, se métamorphose en adolescente, se voit sélectionnée par l'Académie de Musique d'une grande ville et doit quitter son petit village. Au grand dam de Marcel dont le sens de la vie s'effondre…
Portée par une magnifique poésie bucolique, Raphaëlle Billetdoux met remarquablement en scène ces deux êtres que tout devrait normalement opposer, mais qui vivent néanmoins la plus belle relation humaine qui soit. Un rapport puissamment tabou, extraordinaire et d'une exceptionnelle décence qui marque à tout jamais une existence.
Malgré le véritable cauchemar que la jeune cinéaste a subi en dirigeant Klaus Kinski, ce dernier reste sublime de réserve. Muet tout au long du récit, ses moindres émotions passent forcément à travers son regard et sa posture, démontrant combien l'homme irritable, voire détestable, était également un immense acteur.
Quant à Pénélope Palmer, née à New York en 1965 de parents artistes, elle apparaît dans quelques films d'Andy Warhol durant son enfance avant de crever l'écran dans des œuvres francophones telles que cette Femme Enfant ou encore Malevil, drame post-apo' de Christian de Chalonge où elle donne la réplique à Michel Serrault, Jean-Louis Trintignant, Jacques Villeret et Jacques Dutronc. Dans La Femme Enfant, elle est simplement sublime de naturel, incarnant à merveille cette gamine repliée sur elle-même malgré ses extraordinaires capacités artistiques et intellectuelles. Une fillette en cruel manque d'empathie de la part de sa mère, merveilleusement incarnée par Hélène Surgère, vue entre autre chez Téchiné, Viachelli et Pasolini. Une génitrice à l'image de la propre mère de la réalisatrice qu'elle définissait comme "une impératrice sans empire". Un empire constitué ici d'une cuisine et d'un salon de coiffure où elle règne en maître du haut de sa superficialité, offrant des leçons de vie absurdes et totalement contraires au tempérament psychique de sa fille. Quant au père, campé par le formidable Michel Robin, il est le parfait taiseux, intégralement soumis aux désidératas de son épouse, le nez perpétuellement plongé dans son journal. Une atmosphère toxique qui hante malheureusement des milliers de logis aux quatre coins du globe.
Au-delà de la relation Élisabeth / Marcel, c'est la passion pour la musique qu'éprouve Élisabeth qui la sauve de son désarroi, voire de la dépression. À l'instar de son intérêt pour la poésie, celle de l'Allemand Heinrich Heine qu'elle découvre en classe, ou bien simplement celle de la nature quand elle s'amuse à identifier les différentes sortes d'oiseaux selon leurs chants. L'histoire d'une fillette fin prête à mordre la vie à pleine dents malgré le lourd handicap familial dans un film aussi inoubliable que lyrique. Un incontestable "oublié" du cinéma français.
8,5/10