Encore la même difficulté à pénétrer l'univers de Imamura, pour ce film à la fière réputation coincé entre deux autres que j'aime pourtant pas mal, "Cochons et Cuirassés" en 1961 et "Désir meurtrier" en 1964 — "La Femme insecte" se rapprochant beaucoup plus dans le style de ce dernier. Un titre français qui d'ailleurs, indépendamment de son attrait, s'éloigne de la version originale plus proche de "chronique entomologique du Japon". La séquence introductive suivant un insecte en gros plan annonce l'observation à venir de l'héroïne, presque entièrement mue par son instinct de survie.
Sur le style, donc, c'est un film qui me demande beaucoup d'efforts, et peut-être que je n'en ai pas fourni assez pour profiter pleinement de la proposition. Sentiment frustrant à l'arrivée car l'ambition de la chronique, croisant le destin personnel d'une pauvre japonaise entre vie rurale et exode vers la ville et le destin du pays tout entier sur près de 45 ans, dans un mouvement allégorique plutôt séduisant, a sur le papier beaucoup de beaux arguments. Tome est une fille de la campagne qui semble déterminée à infléchir le cours de sa condition de vie en partant à Tokyo : les bouleversements à l'échelle micro et macroscopiques se répondront sans cesse, la faveur de quelques images figées sur lesquelles vient s'inscrire une date précise. D'ellipse en ellipse, on traverse une moitié de siècle au milieu du XXe, en appuyant le propos par un destin féminin particulièrement tragique.
Une paysanne qui se bat pour échapper à la misère et un réalisateur qui évoque les conditions des femmes, contraintes à la prostitution pour leur survie. Il règne une sorte de primitivisme étrange, notamment dans la première partie consacrée au jeune âge de Tome, qui évoluera vers une amoralité particulière corsée. Imamura est un cinéaste franchement rugueux sur le territoire du sexe, avec un regard empreint de crudité. Parfois tragédie, parfois comédie noire, le film est globalement assez cruel et aborde pêle-mêle l'occidentalisation de la société japonaise à l'heure de la défaite de 1945, la lutte protéiforme pour la survie, les répercussions de l'humiliation nationale, les existences laborieuses et corrompues... Entre prostitution et proxénétisme, entre syndicalisme et sectarisme, les histoires s'entremêlent dans un tissu un peu décousu.