Avec La ballade de Narayama et son étude sur les mœurs délétères du Japon médiéval, l'aspect documentaire, cher à Shôhei Imamura, rappelant à l'aspect primitif de l'homme, laissait un sentiment profond de déprime, en mettant très peu en valeur ses décors se concentrant sur ses personnages et leur comportement pour un portrait sans concession.
L'homme capable des pires horreurs, même envers ses parents, mû par l'instant de survie, rejoint ici la destinée des femmes, de leur corps objet, du désir qu'il suscite et de l'hypocrisie sociétale, freinant constamment leur émancipation.
Un début à l'identique pour une famille vivant en autarcie et une relation père fille pour un amour incestueux à suggérer le lien qui unit les deux êtres, mais également les viols consentis par les propriétaires terriens, ou plus tard à la ville, cette passion dévorante d'un homme sur le retour pour la jeunesse, prêt à toutes les bassesses, Le réalisateur traite de l'oppression et nous rappelle à ses métrages auxquels il faut s'accrocher tant l'émotion peut faire défaut et l'immersion difficile.
Quittant son village pour Tokyo, Tome, (Sachiko Hidari) d'abord exploitée en viendra à répéter le même comportement abusif lorsqu'elle même devient maquerelle et constatera encore les mêmes effets désastreux sur sa propre fille, Nobuko, (Jitsuko Yoshimura). Imamura s'étant rapproché d'une ancienne prostituée pour parfaire son portrait, un effet miroir de plusieurs destinées féminines, soumises aux mêmes aléas, que l'on trouvera certainement redondant et peut-être trop facile pour marquer le drame de leurs conditions.
Ce sixième métrage du cinéaste rappelle également par ses longueurs à Pluie noire. tourné quelques années plus tard. Un regard sur les ravages de bombe atomique où les flashbacks sont remplacés ici, par des arrêts sur image, laissant les photos parler d'elles-mêmes. Un curieux roman-photos, ne choisissant pas toujours les plus parlantes. La pauvreté, la condition des paysans, le travail aux usines, les abus, la guerre, la défaite et les déceptions amoureuses, sans en oublier comme pour La Ballade, une présence invisible d'une déesse de la montagne, guidant les habitants du village dans l'adversité, mais sans en pénétrer l'univers fantasmagorique, tout un melting-pot auquel s'ajoutent les multiples ellipses qui sapent la fluidité du métrage et empêchent une totale adhésion.
Si Mikio Naruse a su traiter avec brio la femme, et sur le même thème avec Une femme monte l'escalier, soignant sa mise en scène, on trouve ici l'importance des personnages mais au détriment d'une qualité d'image et de mise en valeur des décors, On pense aussi à Kenji Mizoguchi et son film La rue de la honte pour l'esclavage sexuel, les quelques touches d'humour en moins.
Imamura dans ses partis pris cliniques n'en est pas moins un cinéaste à suivre même si le noir et blanc de circonstance, et les quelques plans suggérant à merveille l'enfermement, ont du mal à nous sortir de la froideur ambiante.
On peut également être étonné du titre du film, Chroniques entomologiques du Japon qui nous suggère le trajet tel Sysiphe, de l'insecte en seule introduction, avançant tant bien que mal le long d'une butte. Faible métaphore pour retranscrire le long voyage de Tome, de sa naissance à sa vie de femme, de sa séduction de jeune fille à la femme vieillie et laissée pour compte, du monde rural à la ville, avant une prise de conscience tardive, tout ceci en regard d'un Japon en mutation sur plusieurs décennies.
Si les propriétaires terriens devront partager leurs terres avec la nouvelle loi agraire, et offrir aux paysans leur propre exploitation, on retrouve du cinéaste sa critique de l'occidentalisation pour en suggérer la perdition et le changement radical de Tome.
Et comme encore pour La ballade les retrouvailles familiales à venir, rassurent et offrent ce soupçon d'optimisme si rare, du cinéaste. Pour Nobuko le monde de la terre et l'espoir qu'il suscite par la simplicité d'une vie sans compromission, le refus de la manipulation et des miroirs aux alouettes, laisse poindre l'espoir pour ces femmes à choisir leur chemin pour un beau pied de nez au patriarcat.