A la fois culmination du cinéma d'exploitation le plus raccoleur et le plus vulgaire et sublimation des codes du film de genre, La Femme Scorpion serait-il malgré ses airs de B-Movie kitsch et bariolé, une furieuse charge féministe, un pamphlet contre les phallocrates de tout poil et leur société répressive ?
A bien y regarder, et même s'il est difficile de prendre au premier degré la sentence finale du film ("se laisser abuser est le crime des femmes") quand le réalisateur vous a balancé une heure et demi d'images saphiques et sadiques parfois volontairement émoustillantes, La Femme Scorpion est certainement un film plus intelligent que veulent bien nous le laisser croire ses atours de pseudo WIP.
Le "women in prison" est un sous-genre de films de "femelles en cage" particulièrement prisé dans les années 70. Le réalisateur du prestigieux Silence des Agneaux, Jonathan Demme a débuté par un WIP, Pam Grier en a été l'une des premières stars... Un genre dont aucune des figures imposées - scène de douche, plaisirs lesbiens, crépages de chignons suggestifs - ne nous est épargnée ici, pour notre plus grand bonheur de cinéphage lubrique.
Heureusement la réalisation particulièrement inspirée de Shunya Ito, dont c'est le premier film, aide à transfigurer ce qui aurait dû être un sommet d'obscénité (en gros, un "Ilsa" version japonaise) en trip baroque totalement génial, en allant par exemple puiser dans le théâtre quelques idées scéniques fabuleuses d'inventivité : d'immenses toiles animées en arrière plan dans les moments dramatiques, des décors pivotants qui révèlent la suite de la séquence...
Une fois encore, et elle le prouvera encore dans le magnifique Lady Snowblood, Meiko Kaji confirme que le mot "charisme" a un sens. Elle trimballe sa frimousse perverse et lumineuse avec un aplomb formidable, et réussit à s'imposer sans piper mot pendant tout le film ou presque, face à un casting de prisonnières hystéros et de matons particulièrement retors. Battue, violée, brûlée, Nami/Sasori subit les pires outrages dans la grande tradition des victimes vengeresses, humiliée mais jamais brisée, et prendra sa revanche avec panache et sauvagerie.
Surchargé de symboles censés détourner une censure impitoyable - une fellation forcée par matraque interposée, une castration de la langue (!) - et proche dans ses ambiances baroques et colorées des oeuvres de Mario Bava ou Dario Argento, La Femme Scorpion est assurément un petit chef-d'oeuvre de sadisme ludique à découvrir de toute urgence, même si sa suite, réalisée la même année toujours par Ito, lui est encore supérieure.