The air itself is filled with monsters
Ah, le trio mythique des Shelley et de Byron : un soir d'orage, une nuit parfaite pour raconter des histoires épouvantables... James Whale incite à croire, lors de cette première scène, qu'il va renouer le pacte noué avec Frankenstein : conter un récit sombre pour occuper une nuit d'orage, reprendre le canevas de son oeuvre pour en développer la fin, trop précipitée au goût de Byron et fournir au spectateur son lot de frissons.
Et pourtant : il prend plaisir à le érouter au cours de la première partie, pour inventer le film de série B. Reprenant les codes qu'il a créés pour sa créature, il joue à les détourner, introduisant des personnages comiques (la gouvernante qui rit comme une bécasse et écarquille les yeux pour prononcer d'un ton outré le premier "it's alive ! it's alive!" du film), des scènes d'horreur guignolesques et gratuites (les premiers crimes du monstre), des clins d'oeil aux scènes de son premier opus (la bergère tombant à l'eau)... Le monstre, lui-même, finit par prendre un tour comique : qu'il se brûle les mains en tentant de dérober le repas de gitans ou qu'il découvre les joies de l'amitié, du cigare et du pinard, il se fait plus humain, créature solitaire en quête d'affection, grotesque silhouette patraque aux gestes saccadés, capable du pire comme du meilleur (la fin).
La véritable terreur surgirait-elle plutôt de la silhouette sèche et graphique du docteur Pretorius, ce savant fou manipulateur ? Que nenni : ce grand vilain cartoonesque au cynisme réjouissant crée des liliputiens qu'il n'hésite pas à manipuler à grands coups de pincettes, et cherche à offrir au monstre une compagne. Il n'en demeure pas moins la véritable force obscure du film : alors que le monstre, en apprenant à parler, à goûter des plaisirs humains et à ne plus laisser libre cours à sa force démesurée, s'humanise, le Docteur, lui, est dévoré par ses ambitions contre-natures, pour lesquelles il est prêt à sacrifier le malheureux docteur Frankenstein et sa fiancée. Alors que la Créature tend à retrouver, peu à peu, son innocence originelle (oh, ce regard adouci à la vue de sa promise !), l'humain, lui, bascule peu à peu dans l'obscur. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que la Frankenstein's Bride et Mary Shelley sont interprétées par la même (sublime !) Elsa Lanchester, comme pour souligner combien le plaisir pervers petit bourgeois de raconter des histoires pour égayer une nuit d'orage peut-être au moins aussi contre-nature que la création de Pretorius...
L'opération de l'éveil de la fiancée fait certainement partie des moments les plus réussis : en reprenant le spectacle pyrotechnique du premier opus, en le développant en dévoilant le décor du toit et ses cerf-volants attrape foudre, en forçant encore plus les gros plans sur les visages hallucinés et dévorés par l'ombre des deux savants, en inclinant sa caméra pour biaiser le regard et informer le spectateur qu'il est prêt à basculer dans l'horreur, Whale joue à la fois les créateurs complices et les critiques de son oeuvre. La naissance de la Bride est un superbe moment : reprenant, là encore, des plans du premier opus - mouvement imperceptible de la main, désenrubannage-, Whale laisse émerger une nouvelle créature à la poésie troublante. Ses mouvements de poupée désarticulée, ses hurlements terrifiés comme ses râles d'expression, ses yeux écarquillés, sa chevelure électrique, sa robe aérienne de mariée en font un spectacle d'un érotisme étrange, avant que le comique pathétique reprenne le dessus : la fiancée s'effraye de son promis et le plonge dans des abîmes de désespoir destructeur.
Formellement plus réussie que Frankenstein, sa Fiancée me semble toutefois moins envoûtante : peut-être est-ce car, à trop jouer à détourner ses propres codes, Whale ne parvient pas à recréer le même rythme trépidant que dans son premier opus. Le film n'en demeure pas moins excellent, et offre, lui aussi, son lot de plans cultes : le regard émerveillé de Frankenstein alors qu'il écoute son futur ami, l'ermite, jouer du violon ; la dégustation de cigares ; le profil somptueux de sa Fiancée ; le visage tortueux de Pretorius ; et, bien sûr, la voix grave et pataude de Karloff, qui fait autant rire ("Smoke ? Friend.") que verser une larmichette ("l love Dead. Hate living.").
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