Sans doute "le Chabrol" le plus encensé par la critique depuis des lustres ("Merci pour le Chocolat" ?), "La Fille Coupée en Deux" ravit et déçoit à la fois. Ravit, parce que Chabrol est toujours un monstre d'intelligence en termes de mise en scène - toutes les leçons du grand classicisme hollywoodien ont été apprises et modernisées, au point que l'on verrait bien Hitchcock filmer comme cela aujourd'hui - et de direction d'acteurs, le tout produisant une émotion d'une belle subtilité. Déçoit, parce que cette finesse de la narration échoue à produire le grand film sur l'amour et la perversion qu'on attendait : Chabrol renonce à filmer le sexe et la soumission, et, ce faisant, réduit un sujet fort à l'une de ses habituelles et virulentes critiques de la bourgeoisie française. Cette dérobade, littéralement fatale aux ambitions du film, vient-elle de la pudeur d'un cinéaste d'une autre génération, incapable de se mesurer à la pornographie, ou, pire encore, à la volonté de "manipuler" le spectateur, forcément plus sensible à la victimisation de l'héroïne qu'il n'a pas été témoin de ses dérèglements sexuels ? Dans tous les cas, nous voici avec un film pusillanime de plus sur les bras, une simple histoire de sentiments et de lutte de classe dont nous n'avons que faire.
[Critique écrite en 2013]