Après "Lawrence d'Arabie" et "le docteur Jivago", David Lean réalise en 1970, "la fille de Ryan".
S'étant fait éreinter par la critique de l'époque pour des raisons que j'ignore (ou qui m'intéressent médiocrement), il jeta l'éponge et ne retournera derrière la caméra pour un dernier film ("La route des Indes") qu'après une pause de 14 ans.
C'est l'histoire d'une jeune femme, Rosy, fille du tavernier, Tom Ryan, d'un village perdu sur la côte Ouest de l'Irlande en 1917. L'action se déroule dans un contexte de guerre mondiale et localement, de haine et de début de lutte contre l'occupant anglais.
Je reprends.
Rosy est au départ une belle jeune fille, romanesque mais esseulée qui ne connait rien de la vie. Son père est en adoration devant elle et ne lui refuse rien. Ses (riches) toilettes la placent en contraste complet avec la population du village qui est plutôt miséreuse et qui, du coup, la méprise ou la jalouse. Elle rêve. Elle rêve d'un ailleurs. Elle rêve à l'idée que l'instituteur, Charles, soit capable de partir et aller à Dublin. Bref, elle jette son dévolu sur cet instituteur, veuf, qui a bien 15 ans de plus mais qui est gentil et patient, qui est instruit et qui écoute Beethoven sur son phono. Evidemment, le mariage et la vie routinière, la vraie vie quoi, ne lui apportera que désillusions. Comment cela aurait pu être différent dans le contexte socio-religieux rigide de l'époque ?
Sa passion subite pour un jeune officier britannique revenu grièvement blessé du front va l'enflammer mais va la marginaliser encore un peu plus (à cause de l'adultère et, qui plus est, avec l'occupant). Au point qu'elle se retrouve à la fin pratiquement dans la situation de Michael, un homme difforme et arriéré, sujet des moqueries et des brimades du village. Elle va progressivement mûrir et finir par se rendre compte que l'amour - silencieux - que lui voue son mari est bien plus puissant et fiable. Mais n'est-ce pas trop tard ?
La mise en scène de David Lean met très bien en valeur cette belle région très sauvage de l'Irlande, face à l'Océan, battue par les vents et les tempêtes. La mise en opposition entre Rosy et les gens du village est tragique et surréaliste. Lean distingue d'ailleurs plusieurs groupes dont les comportements sont différents bien que tous inclinent à la même finalité. Il y a les braillards, sans foi ni loi, qui s'amusent à molester Michael, braillards tarés que seul le curé (de choc) peut maîtriser. Il y a les femmes (dans l'épicerie) vipérines et haineuses. Il y a les enfants à l'école, (à peu près) innocents.
Mais ce qui vaut dans ce film, c'est bien entendu l'interprétation des personnages, le jeu des acteurs.
Ainsi, c'est Sarah Miles qui joue le rôle de Rosy, le personnage central qui va évoluer d'un état de jeune fille gâtée à celui de femme adulte déçue. Tour à tour, séduisante ou détestable, émouvante ou agaçante, Sarah Miles réussit et rend convaincant son personnage qui au final ne dégage pas grand-chose comme empathie.
L'instituteur, Charles, est interprété par un surprenant et placide Robert Mitchum. Son personnage, est lui, au contraire, débordant d'empathie même si dès le départ il n'avait pas beaucoup d'illusions sur sa capacité à répondre aux rêves de Rosy. Son jeu, certainement à contre-emploi, en impose en mari trompé qui ne cesse de s'interroger, en vain. La scène semi-onirique sur la plage est somptueuse.
Le rôle du curé qui est le garant moral de la communauté et n'hésite pas à jouer des poings pour se faire entendre est Trevor Howard.
Le rôle de Michael, l'idiot du village, est remarquable. Il est en quelque sorte le témoin, qui se trouve régulièrement au centre de l'action, face à Rosy. Peut-être idiot mais ni aveugle, ni sourd. Il est le témoin mais aussi la conscience de Rosy qu'elle refuse de voir sauf quand tout est perdu. C'est John Mills, un acteur qui a déjà joué chez Lean ("les grandes espérances") qui interprète ce personnage muet mais clé du film. Il a reçu un oscar bien mérité pour ce rôle.
J'ai bien aimé ce film de David Lean pour la puissance de la mise en scène ainsi que par le jeu des acteurs.