A la différence de la majorité des films des Dardenne, "La Fille Inconnue" a été reçue avec indifférence, voire un peu de déception condescendante lors de sa présentation à Cannes et de sa sortie en salle. C'est que, incontestablement, on n'y retrouve pas (plus ?) complètement les traits désormais habituels du "cinéma d'auteur" de nos frères belges favoris, un cinéma qui semble évoluer vers une plus grande neutralité encore dans la description de situations à la fois "banales" et pourtant à fort potentiel dramatique. Sa magnifique héroïne, dont l'obstination butée et le courage à la fois ténu mais indiscutable face aux agressions auxquelles elle sera de plus en plus confrontée alors qu'elle avance dans son "enquête", ne bénéficie pas comme se fut le cas naguère des plus beaux portraits de femmes des Dardenne, de la sublimation qu'apportait l'intensité formelle d'un filmage très impliqué. Adèle Haenel, elle même, joue avec une "absence" qui ne lui est pas coutumière, mais qui au final - un peu comme chez Ozu auquel le final de la "fille inconnue" m'a fait penser avec cette vague d'émotion qui survient presque par surprise et qui nous submerge - permet au film d'échapper au risque indéniable de n'être qu'un thriller au scénario assez improbable : mieux encore, si la conclusion du film - l'une des plus positives de l’œuvre des Dardenne - nous offre une sorte de triomphe de l'humanité obstinée sur la "merditude des choses" (drogue, prostitution, maladie, haine familiale, petits trafics minables, la barque est bien chargée...), cette légèreté neutre d'un film finalement assez trompeur lui confère une pertinence que lui aurait ôtée le choix de la tension ou bien de la virtuosité. Gageons que "la Fille Inconnue", ne serait-ce que pour sa réflexion plutôt pertinente sur la culpabilité qui devrait tous nous dévorer devant l'infinie misère des migrants et la cruauté d'une société indifférente, sera un jour réévalué au sein de la filmographie passionnante des Dardenne. [Critique écrite en 2017]