Nous sommes à New York au début du XXè, dans ce qu’on pourrait appeler la bonne société. Les premiers plans annoncent que ce film s’inspire d’une histoire vraie qui défraya la chronique judiciaire, par ce qu’on appela déjà « Le procès du siècle » suite à un meurtre qui marqua les esprits en 1906. Ceci dit, il ne s’agit pas vraiment d’un film de procès, car celui-ci n’occupe que les 20 dernières minutes environ. D’ailleurs, le film est bien plus intéressant pour montrer comment et pourquoi le drame est arrivé (mon conseil : voir le film pour savoir qui a tué qui et dans quelles circonstances), plutôt que pour décrire ses conséquences.
Le personnage central est la toute jeune Evelyn Nesbit, 16 ans au début de l’intrigue, interprétée avec conviction par Joan Collins. On pourra discuter à l’infini de ce qu’aurait été le film avec Marylin Monroe qui avait été pressentie pour le rôle. On pourra aussi faire des comparaisons, puisque Claude Chabrol s’est également inspiré de cette histoire pour son film La fille coupée en deux où Ludivine Sagnier interprète le personnage de la jeune fille.
Evelyn intègre un cabaret de Broadway, comme danseuse dans une revue. Rapidement, elle est entraînée par une copine en ville, qui la guide vers une arrière-boutique communiquant avec un appartement qui n’en finit pas : celui de l’architecte réputé Stanford White (ironie du nom, avec ce blanc symbole de pureté), habitué à recevoir des femmes en toute discrétion, pour éviter de mettre en péril son mariage. Rapidement, Evelyn se trouve en tête-à-tête avec Stanford (Ray Milland). Evelyn se caractérise par une apparence innocente accompagnée d’une délicieuse fraîcheur et d’un ravissant minois, le tout agrémenté de curiosité et d’intrépidité. Cela met vite Stanford en émoi pour culminer lors d’une scène éminemment cinématographique où Richard Fleischer fait preuve d’un grand talent. En effet, dans une pièce immense où Evelyn met le nez autant par hasard que par curiosité, elle découvre une balançoire suspendue au plafond (très haut) par de grosses cordes rouges. Un ensemble commandé à l’architecte par un client qui n’a jamais eu les moyens de payer. Du coup, l’architecte garde cela pour son plaisir. Son plaisir se réalise au-delà de toute espérance en laissant Evelyn s’installer sur la balançoire et en la poussant avec enthousiasme, jusqu’à ce que ses pieds viennent toucher une Lune peinte sur un mur comme décoration. La scène est inspirée (c’est indiqué) par La balançoire le tableau de Watteau (qui renvoie lui-même à celui de Fragonard « Les hasards heureux de l’escarpolette ») et c’est magnifiquement rendu : luminosité, couleurs, mouvement, innocence de la jeune femme et plaisir de l’homme mur (47 ans) qui profite de la situation. Bien évidemment, les deux ne tardent pas à entretenir une liaison passionnée, même si Stanford White a vaguement essayé de résister à son attirance. On a là à mon avis le deuxième point très fort de ce film : on sent parfaitement l’attirance irrésistible entre les deux amants, par une illustration très crédible du coup de foudre : les regards, les premiers baisers, etc.
Bien évidemment, aux instants de grâce des débuts vont rapidement succéder des moments de plus en plus délicats. Ils doivent se rendre à l’évidence que la différence d’âge condamne leur histoire. Stanford White s’y résout en proposant à Evelyn de quitter Broadway pour intégrer une pension très chic où, à ses frais, elle recevra l’éducation qui pourra lui réserver un avenir de qualité.
Déjà compliquée, l’histoire d’amour entre Stanford et Evelyn est perturbée par les interventions du jeune milliardaire Harry Thaw (Farley Granger), capricieux et égocentrique, qui ne supporte pas l’omniprésence de Stanford White partout où il aimerait qu’on lui déroule le tapis rouge. Considérant que sa fortune devrait lui ouvrir toute les portes (et jaloux de Stanford White), il jette son dévolu sur Evelyn. Il en fait une sorte de défi, venant voir Evelyn dans la pension qu’elle a intégrée. Plutôt désespérée, celle-ci va accepter son invitation pour un voyage en Europe et elle finira par l’épouser. Mais le caractère de Thaw complique tout. Il ne supporte pas, à New York, de voir encore Stanford White dans les lieux qu’ils fréquentent. Se sentant épié, surveillé, il incite sa femme à considérer Stanford White comme l’incarnation du démon.
Avec ce film, Richard Fleischer use avec maestria d’un flamboyant Technicolor parfaitement adapté à la situation. L’ensemble culmine donc avec cette séquence illustrant le titre (titre original : The Girl in the Red Velvet Swing) où la touche de rouge (couleur de la passion, du sang) se montre déterminante, une scène qui trouvera un écho poignant dans l’épilogue. Si le duo Joan Collins/Ray Milland fonctionne bien, l’interprétation de Farley Granger ne convainc pas vraiment. A retenir quand même que son insistance auprès d’Evelyn culmine lors d’une scène ferroviaire, mettant en évidence le charme d’antan des trains avec compartiments et couloir. Le scénario oublie complètement la femme de Stanford une fois la liaison avec Evelyn entamée. Quant à l’ultime partie, elle sonne comme si le réalisateur ne pouvait pas la négliger, vu le retentissement du procès réel. Sa conclusion n’est pas spécialement satisfaisante et on retient surtout ce qu’assène Evelyn à sa belle-famille qui la jette littéralement « Quand on se couche avec un chien, on se lève avec des puces ».