Le film débute sur une confession aussi douce qu'amère. Celle d'Adèle, candide et émouvante, qui brosse le portrait de sa vie qui ne vaudrait plus le coup d'être vécue. Celle qui dit qu'elle n'a jamais rien eu à elle à part son manque de bol.
Puis ce pont qui enjambe la nuit. Un pont qui va la rapprocher de Gabor. Charismatique, ombrageux, superbe et finalement tout aussi fragile. Qui dit tout de son existence en un coup d'oeil, d'une expression expression désabusée. Un pont pour les rapprocher. Puis un plongeon dans les eaux glacées de la Seine pour les sauver. Tous les deux.
Elle ne cesse de s'offrir au premier venu. Il se dit sans doute qu'il est tombé amoureux d'elle inconsciemment. Gabor se ment donc à lui-même car les yeux posés sur Adèle, cette nuit-là, avaient déjà tout dit de son attirance.
Le déroulement de cette histoire d'amour est d'une simplicité de tous les instants. L'art de Patrice Leconte pour faire passer ce sentiment est au contraire des plus difficiles à soutenir et à faire ressentir. Et La Fille sur le Pont réussit à ravir de bout en bout. Car le noir et blanc est sculptural, magnifié par de sublimes éclairages ouvragés. Car la caméra se montre constamment joueuse et émerveillée, suivant les deux âmes abimées dans de superbes décors entre représentations, coulisses chamarrées du spectacle et exotisme dépaysant. Car la répartie est alerte et pétillante, le bon mot immédiatement à l'esprit, le dialogue ciselé, le verbe amoureux et la plume fine.
Mais toutes ces qualités ne seraient à l'évidence rien sans la justesse rare du couple, le magnétisme qu'il dégage à chaque seconde de l'oeuvre. Daniel n'est jamais aussi bon que dans cette nuance, ce mystère mélancolique et délicat. Vanessa tient là son plus joli rôle, elle qui n'a jamais été aussi belle. Elle qui émeut par sa fragilité de coeur d'artichaut, désenchantée et teintée de caractère. Elle et sa voix de petit canari. Elle et sa naïveté attachante.
Ces deux-là se mettent au service de la poésie ravissante de Fabrice Leconte et son complice Serge Frydman, tout en l'animant de jolies nuances en forme de jeu de cache-cache amoureux. Ils se tournent autour, se sourient, se mettent à l'épreuve avant de se fuir et de voir leur chance peu à peu s'évanouir.
La Fille sur le Pont fait figure d'évidence aux allures de délicate magie. Comme un conte que son réalisateur préserve de tout cynisme dans un film dont la légèreté apparente camoufle mal les fêlures de son couple vedette. A l'image de sa scène finale où les rôles se renversent, loin de leur premier rendez-vous improvisé.
Alors même qu'avec ces deux-là, et leur attraction de tous les instants, jamais un lancer de couteaux n'aura été aussi graphique, sensuel, charnel, érotique, transi. Jamais deux vies en morceaux n'auront jamais autant souri de leur chance un rien fabriquée pour croire en autre chose que ces eaux noires.
Allez savoir s'ils ne se sont pas repêchés l'un l'autre, tout simplement.
Behind_the_Mask, qui a l'air d'un type qui va faire une connerie.