Le crépuscule des artistes petits, obscurs et sans grade

Ça doit bien être la troisième fois que je vois ce film. Quand parait le mot FIN, je ne sais jamais si j'ai aimé ou pas ce film.

En résumé, une abbaye est reconvertie en maison de retraite pour vieux artistes de théâtre sans ressources. Dans cette institution caritative, trois hommes Saint-Clair (Jouvet), Cabrissade (Michel Simon) et Marny (Victor Francen) semblent tenir le haut du pavé.
Peu à peu on découvre la réalité qui se cache derrière ces trois personnages.
Cabrissade dans un rôle d'amuseur bavard et menteur "Je ne vous demande pas de me croire, je vous prie de m'écouter" qui, en fait, n'a jamais joué ayant toujours été une doublure. La fois où il s'octroie la chance de jouer son rôle préféré de Flambeau dans l'Aiglon, il s'effondre sur scène : la "panne affreuse" sur une des tirades les plus connues du théâtre "et nous les petits, les obscurs, les sans grades…"
Marny (Victor Francen) est un grand acteur classique passionné par ses rôles mais dont l'exigence et le talent n'ont jamais été reconnus. C'est le travailleur acharné dont on reconnaît la compétence technique mais à qui il manque le charisme. "J'ai du talent mais pas de succès ; il y a tellement d'acteurs qui ont du succès mais pas de talent".
Le cruel Jouvet lui dira pourquoi il n'a pu connaitre le succès : "Vous jouez des rôles tandis que moi je vivais mes personnages".
Mais Saint-Clair (Jouvet) est le séducteur patenté qui est capable d'entrainer ses conquêtes à leur perte, qui ne compte plus ses conquêtes (dont certaines se sont tuées pour lui), qui court encore à cette gloire éphémère qu'il refuse d'abandonner.
Duvivier nous offre d'ailleurs une mise en abyme avec le duo Saint-Clair/Jeannette, la jeune serveuse (Madeleine Ozeray) où cette dernière est absurdement amoureuse de Saint-Clair tant le spectateur a du mal à croire qu'une fraiche jeune fille puisse être amoureuse d'un vieil acteur don juanesque, nettement confit, alors que dans la vraie vie les 2 acteurs ont eu une liaison qui a duré plusieurs années…
Mais les seconds rôles ne sont pas en reste !
Il y a une inhabituellement émouvante Gabrielle Dorziat en ancienne amoureuse de Jouvet qui a eu un enfant de lui et le lui avoue un soir alors qu'une voix frêle mais juste chante "le temps des cerises ". Et Jouvet se montre cruel à son égard car ce fils lui rappelle qu'il est désormais vieux.
Il y a aussi une cruelle et venimeuse Sylvie qui met Saint-Clair devant ses turpitudes en montrant à tout le monde que Jouvet s'envoie les vieilles lettres d'amour reçues trente ans plus tôt.
Sans oublier un émouvant jeune François Perier en journaliste qui tente de redonner du lustre à Francen qui se désespère d'avoir raté sa carrière d'acteur et d'homme.
Trois mots résument ce film de Duvivier dont je parierai bien qu'il y a mis de son propre vécu : émotion, noirceur, cruauté.


Alors, est-ce que je l'aime ou pas ce film ? Indéniablement, il est magistralement mis en scène. Le scénario est solide et plein de tendresse et d'empathie vis-à-vis de ces vieux artistes. Il y a des numéros d'acteurs absolument remarquables. Mais le désespoir, la rancœur, les regrets constamment ressassés qui conduisent à des gestes cruels me gênent fondamentalement et ne me poussent pas à aller très au-delà d'une "note" moyenne.

JeanG55
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le 16 janv. 2021

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