Histoires de cinéma
Ce qui étonne d'emblée dans ce projet qui semble de prime abord aspirer à la monumentalité par sa démarche et sa longueur, c'est le caractère incroyablement ludique qui irrigue ces 14 heures. Les...
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le 20 avr. 2019
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Il est difficile de parler de La Flor sans se perdre dans mille et une digressions. Pourtant, c'est à cela que le film invite, à se perdre pendant 13h30.
Divisé en six épisodes, formant une fleur, nous dit Llinás, lorsqu'il nous présente son œuvre sur une table de pique-nique d'une station service quelque part en Argentine. Chaque épisode prenant place dans un genre cinématographique différent.
Évacuons tout de suite, le premier épisode. Ce n'est clairement pas le plus intéressant de tous, c'est le premier à avoir été tourné. On sent le manque de budget. Même si c'est une série B tout à fait honorable, il n'y a pas grand-chose à dire. Si ce n'est que malgré le manque visible de moyen, Llinás réussit à nous faire ressentir à la peur. Il se passe quelque chose de malsain dans ce laboratoire. C'est la musique qui joue un rôle primordial dans cet épisode, c'est par elle que l'épouvante va se manifester, plus par les plans de caméra, qui s'ils ne font pas amateur, ne rendent pas justice à l'ambition du projet.
Le second épisode est un drame musical. Un duo de chanteurs, couple dans la vie, se sépare et leurs amis respectifs tentent de les réunir pour un dernier tube, symbole de leur séparation. Dans le même temps, l'assistante de la chanteuse est confrontée à un gang cherchant à extraire du venin de scorpion pour atteindre la jeunesse éternelle. J'aime beaucoup la rencontre entre deux genres qui n'ont rien à voir. D'un côté, on a un drame, tout en chanson et de l'autre, la femme scorpion. Et je dois dire que j'ai été pris dans cette intrigue de série B, qui pose de nombreuses questions auxquelles ne seront apportées aucune réponse. Tout est mystérieux, chaotique. On se demande sans cesse ce qu'il se passe. Et puis subitement, on revient sur le chanteur ou la chanteuse qui racontent chacun à leur tour, leur point de vue sur leur histoire. Jusqu'à ce moment final où ils se retrouvent pour chanter ensemble. C'est vraiment un passage magnifique. Déjà, la chanson est très belle en elle-même mais de la voir chanter en studio, avec le malaise palpable entre les deux, avec cette question de "vont-ils se remettre ensemble ?". Si on ajoute à ça, une scène où un des personnages contemple les étoiles, les scorpions et son amant en écoutant une autre chanson sur son baladeur MP3. Musicalement, c'est une grande réussite. Ça m'a vraiment ému. Finalement, l'épisode se conclut au moment où les deux genres se rencontrent frontalement, posant encore plus de questions.
Le troisième épisode est un film d'espionnage de 5h30. C'est le meilleur d'espionnage qui soit. Il contient tellement de chapitres, de sous-chapitres, de différents modes de narration que c'est à en faire pâlir Tarantino. Mais, l'épisode (j'ai envie d'écrire le film) ne se limite pas à l'espionnage. S'il commence en plein milieu d'une intrigue d'espionnage, dont on sait vaguement la date et le lieu (Amérique du Sud, années 80). Et c'est en français. Tous les personnages parlent le français, en plus de l'espagnol, du russe, de l'allemand, de l'anglais. Ce qui donne lieu à des passages très comiques, avec des hommes de main qui ont un jeu et un accent assez improbable. Llinás dévie rapidement son film sur autre chose. Il passe du film d'espionnage au roman photo, au western, au drame, au film de guerre etc. En 5h30, on passe de la guerre froide en Sibérie, à un pastiche d'Apocalypse Now avec des pistolets en plastique, à un drame dans Paris où Llinás fait des fondus et des inserts avec de la peinture impressionniste pour illustrer la dépression à la suite d'un amour non-dit. Puis soudainement, on est transporté à Bruxelles pour recevoir des morceaux d'intrigues, découvrir des tueuses qui en veulent à nos espionnes pour revenir en Amérique du Sud dans un aérodrome où tout se dénouera autour d'une musique digne d'un film de Sergio Leone. Cette épisode fait tout. Il brouille l'unité de temps et de lieux, on est ici et ailleurs, à tel ou tel moment, approximativement par ici à ce moment-là. L'impression de lire un roman à tiroirs est très forte. D'autant que Llinás utilise la littérature et la bd comme autant de supports pour son intrigue, faisant référence notamment à Tintin (la momie du premier épisode, les bd visibles et une figure de Capitaine Haddock sur un rétro-viseur dans le troisième).
Le quatrième épisode est une "mise en abîme du cinéma". Llinás propose un pastiche de son propre tournage, avec un réalisateur fictif, qui a un projet similaire au sien, dont l'évolution semble concorder avec les questions que se pose le réalisateur. Le réalisateur fictif, entouré de 4 actrices, jouées par les vraies actrices, sombre petit à petit dans la folie, préférant filmer des arbres pour un film de SF se déroulant au Québec dont on voit des extraits. Il souhaite en finir avec son film et ses actrices, quatre araignées, quatre sorcières. Si le film semble être un genre de méta-fiction, il bascule rapidement dans la série B, avec les actrices comme sorcières puis sur une enquête paranormale qui ne verra jamais de conclusion. S'amusant encore une fois avec les chapitres, sous-chapitres, modes de narrations, la fois méta-fiction, documentaire, roman épistolaire, théâtre/film en costume, film de série B. Llinás nous perd dans une narration complexe mais qui, en vérité, semble très légère, minimale. On se plait surtout à le voir expérimenter sur les moyens de narration que de véritablement nous raconter quelque chose qui ait un sens. Il efface les lignes, proposant un grand tout, où chaque partie semble se répondre.
Le cinquième épisode est un remake d'Une partie de campagne de Jean Renoir, sans les 4 actrices. C'est formellement très beau, contemplatif avec des avions qui font des loopings sur la bande son du vieux film français. Mais j'avoue que je n'ai pas grand-chose à en dire, n'ayant pas vu le film original.
Le sixième épisode est aussi un film muet, mais en couleur, avec des cartons de texte tirés des mémoires d'une anglais captive des indiens dans la pampa au XIX° siècle. Si c'est l'épisode le plus court (20 minutes, le générique est plus long). C'est tour de force esthétique. Formellement, Llinás rend une image incroyablement belle en plaçant simplement un filtre sur la caméra. Il film ses actrices enceintes, errant dans la pampa, cherchant à la civilisation, se baignant nues dans l'eau claire. Franchement, je trouve que c'est peut-être le plus beau passage du film. Elles finissent par prendre des chemins séparés et ainsi se conclut le film, qui embraye directement sur un générique de 40 minutes.
Que retenir de tout ça ?
Je trouve que le concept d'encyclopedic novel s'applique bien à ce film.Par encyclopedic novel, terme assez intraduisible, on entend "rendre compte de l'ensemble des connaissances et des croyances d'une culture nationale, tout en identifiant les perspectives idéologiques à partir desquelles cette culture façonne et interprète ses connaissances". La Flor est un "encyclopedic movie". Ici, il n'est pas question d'une culture national, d'un cinéma national mais du cinéma, du cinéma comme il est cinéma de genres, comme il est direction d'acteurs, comme il est un jeu. On joue à faire le cinéma (les armes en plastique, les mêmes actrices dans différents rôles, différents genres exploités). La Flor propose un grand tout. C'est long, intense, complexe. Utilisant plusieurs formes de narrations, voir les utilisant successivement toutes ; se référant aux plus grands (Coppola, Renoir, Leone etc.). Ce qui compte n'est pas tant les intrigues, qui n'ont pas de sens, que la poésie qui s'en dégage. J'ai la même sensation que devant Contre-Jour de Thomas Pynchon, on se laisse porter par la poésie du texte et on relira sans cesse pour peut-être, un jour, y comprendre quelque chose. Le film est parsemé par d'autres formes d'arts (peinture, théâtre) mais surtout par le roman, qui occupe une place centrale dans le 3° épisode, qui est en fait bien plus une succession de roman photo ayant pour thème le film d'espionnage, le drame ou le film de guerre (ce feu qui crépite sur une nuit bleue... je ne vais jamais m'en remettre !) qu'un film pur film d'espion comme James Bond. Divers narrateurs nous lisent des histoires, sans dates ni lieux, ou des à peu près. Et on se laisse porter dans la poésie du texte, l'accent argentin et les images et histoires d'espions. Pareil avec le 4° épisode.
Et quand le film se termine, se pose la question de qu'attendre du cinéma maintenant ? Que voir ? Comment apprécier le cinéma désormais ?
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il y a 2 jours
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