Archie Mayo est un réalisateur un peu passé en dessous des radars aujourd'hui. Mais il suffirait que je mentionne son film phare de juste après-guerre "Une nuit à Casablanca " avec les Marx Brothers pour que tout le monde s'écrie "Ah oui !".
Là, "la forêt pétrifiée" date de 1936, n'a rien de comique et est encore moins burlesque… L'action se déroule dans une station-service au milieu d'une zone désertique en Arizona proche d'une réserve géologique d'arbres fossilisés (qui n'ont pas eu l'opportunité de se transformer en pétrole – remarque perso qui n'apporte rien du tout au film ...).
Le personnage central, c'est une jeune fille, Gabrielle, issue d'un mariage franco-américain où l'épouse, probablement déçue par le rêve américain au fin fond de l'Arizona, est rentrée en France. C'est surtout une sublime Bette Davis, pleine de rêves dans ses yeux, liés à sa mère, à la ville de Bourges où habite sa mère, à la possibilité d'y développer ses capacités artistiques. Seulement, ça ne reste qu'un rêve jusqu'à ce que deux personnages entrent et bousculent son univers. D'abord un auteur sans le sou, un intellectuel qui surgit de "nulle part" et qui lui fait prendre conscience de la consistance de son rêve en créant un lien magique et invisible autour du recueil de poésies de François Villon que lit Gabrielle. C'est un élégant et séduisant Leslie Howard (en costard, pour faire du stop dans le désert …). Puis, c'est un gangster, en fuite avec sa bande dont on parle à la radio depuis le début du film, qui débarque. C'est un brutal et dépenaillé Humphrey Bogart qui amène sa "graine" de violence dans cet univers assez paisible.
Autour des trois personnages ci-dessus, trois autres personnages "typiques" constituent le monde ordinaire de Gabrielle. Le père, nostalgique de l'uniforme et de la guerre, le grand-père, nostalgique d'une époque révolue du Far-West qui s'émoustille à l'idée de voir un Billy-the-kid moderne et le troisième, l'employé de la station-service, féru de football américain et amoureux de Gabrielle. Bref, rien de bien quinquin pour assouvir les rêves artistiques de la demoiselle.
Issu d'une pièce de théâtre, le scénario en a conservé la construction en forme de huis-clos dans cette station-service avec des gens qui arrivent et partent pour mieux revenir. Les décors sont assez peu développés et me semblent résulter d'un fond peint. Mais en définitive, l'intérêt du film n'est pas tellement là mais plutôt dans les dialogues savoureux entre tous ces personnages qui se croisent.
J'aime beaucoup les réparties de Bette Davis à son père qui joue au va-t'en guerre avec ses "Black Horse Troopers" et sa morale patriotique à deux balles.
"Ce n'est pas étonnant que Gabrielle soit devenue Gabbie avec ces culs-terreux de rats du désert"
De même que le marivaudage entre une candide Bette Davis et un enjoué mais altruiste Leslie Howard.
Ou encore les échanges entre un ironique, imbibé mais généreux Leslie Howard et un malfaisant, imbibé mais humaniste Bogart :
"Je compte être enterré dans la "forêt pétrifiée". C'est le cimetière de la civilisation. Le monde des idées démodées. C'est plein de souches mortes dans le désert. C'est bien pour nous deux. Vous êtes le dernier apôtre de l'individualisme farouche."
Mais je voudrais terminer la chronique de ce film sur le très beau rôle de Leslie Howard en homme qui semble venu se perdre, là, dans ce coin paumé pour être enterré dans la forêt pétrifiée mais surtout pour faire le bonheur de Gabrielle.
Si ne perds pas la graine que je sume
En votre champ quand le fruit me ressemble.
Dieu m'ordonne que le fouïsse et fume ;
Et c'est la fin pour quoi sommes ensemble.
(Villon – Ballade pour Robert d'Estouteville)