Elisa Esposito (Sally Hawkins, lumineuse), jeune femme muette, est femme de ménage dans un laboratoire du gouvernement durant la Guerre Froide. Un jour, un amphibien humanoïde (Doug Jones) y est amené pour expériences. Dès qu’elle le rencontre, Elisa tombe amoureuse de cette créature qui, ayant une forme humaine, est privée de parole comme elle. Lorsqu’elle apprend que les responsables du laboratoire ont l’intention d’opérer une vivisection sur l’amphibien, elle décide alors de tout mettre en œuvre pour libérer ce dernier…
Si, dès ses débuts derrière la caméra, Guillermo del Toro a toujours clamé son amour pour les monstres, il ne les avait toutefois jamais placés au cœur d’une romance. C’est ce qu’il fait avec La Forme de l’eau, et il le fait plutôt bien, même si cette romance improbable entraîne déjà un premier regret. En effet, si le lien entre Elisa et la créature est profondément touchant, il aurait mérité d’être bien plus développé, les premières approches entre les deux étant montrées de manière trop rapide alors même que del Toro y fait preuve d’une belle délicatesse, nous faisant arriver trop vite aux relations sexuelles (en outre mal intégrées au récit, car traitées dans un dialogue comique) entre les deux amants pour que l’on arrive à les considérer comme l’aboutissement de quoi que ce soit. A l’inverse, on aurait pu moins insister sur l’antagoniste joué par Michael Shannon, qui apparaît par trop caricatural. J'entends bien les défenseurs du film me rétorquer que c’est son rôle qui le demande, puisque son principal rôle est de mettre à bas l’image de l’Amérique parfaite qu’il incarne (l’homme blanc, père de famille modèle et grand connaisseur de la Bible), mais les méchants caricaturaux étant une des marques de fabrique de Guillermo del Toro, cela n’excuse pas tout, et je trouve qu'il aurait pu être davantage nuancé (notamment à travers le portrait de sa vie de famille, par exemple).
Ce qui est une des marques de fabrique du réalisateur mexicain, c’est également un sens aigu de la mise en scène, et de ce côté-là, c'est un quasi-sans-faute : si on n’égale pas ici la claque esthétique qu’était le puissant Crimson Peak, son directeur de la photographie Dan Laustsen prouve une nouvelle fois toute l’étendue de son génie esthétique, permis par une reconstitution élégante (et verte) des années 1960, grâce au talent conjoint du décorateur Nigel Churcher et du costumier Luis Sequeira, que vient parfaire la musique aérienne d’Alexandre Desplat. Constituant un bel hommage à la comédie musicale, il n'est pas étonnant de voir La Forme de l'eau en réutiliser les codes visuels pour magnifier cette histoire d'amour étonnante. On n'a plus qu'à attendre que Guillermo del Toro nous offre une vraie comédie musicale, maintenant...
Mais la véritable perle autour de laquelle a été construit ce magnifique écrin, c’est la belle Sally Hawkins, au charme spontané qui séduit irrémédiablement, et qui convainc totalement dans ce rôle de femme muette mais combative. C’est elle, alliée au talent de conteur de Guillermo del Toro, qui parvient à rendre non seulement crédible mais également attachante la relation pourtant peu engageante de prime abord entre une femme et un monstre.
Du récit se dégage en effet une poésie de tous les instants, par laquelle del Toro se révèle une fois de plus un grand cinéphile, qui nous convainc de passer outre toutes les faiblesses ou facilités scénaristiques du film (à commencer par un laboratoire étrangement peu surveillé) pour se laisser emporter sur les ailes du rêve à sa suite et à la suite de personnages qui, à n'en pas douter, laisseront une trace durable dans les annales du grand écran.