Le film avait l'audace d'un sujet bancal. Une sensualité "zoophile" (nous dirons exotique) de cet acabit avait tout pour susciter la curiosité, ainsi que la crainte (le ridicule potentiel) et l'intensité (les amours contrariés qui culminent malgré la réalité). C'est surtout la présence de Del Toro à la réalisation qui rassurait, car disons le, retrouver Abraham Sapiens avec ici la possibilité d'une ouverture (avec une princesse certes bien moins jolie que dans Hellboy 2, moins exotique également) avait tout de réjouissant. La direction artistique toujours marquée de la patte du maître et quelques idées visuelles payantes (l'appartement inondé, les scènes aquatiques...) pour faire prendre la bande annonce, et voilà que le public se retrouve en salle pour un viol intégral. On commence l'année par LA plus grosse déception.
Tous les mauvais choix que pouvait faire Del Toro avec son sujet y passent les uns après les autres. Par mauvais choix, je ne pense pas à la frustration sexuelle de notre héroïne (cohérente et assumée d'office dans l'introduction pour justifier l'attirance). Je serais même prêt à lancer une discussion sur la catégorisation d'une relation "furry", dans la mesure où les animaux y sont tellement humanisés (et sexualisés) qu'on s'éloigne drastiquement de la zoolophilie. Mais c'est tout le reste. Guillermo Del Toro applique des recettes prémâchées qui balisent le récit sans subtilité (pour embellir l'anormalité, on salit la famille tradi américaine en en rajoutant des couches constamment (avec du trash sexuel) / michael shannon qui nous fait le mâle sadique hétéro-centré qui semble sortir d'un clip de propagande féministe / le général américain qui passe son temps à insulter les russes / le voisin gay qui va donc aider les amoureux parce que c'est beau l'amour différent...). Alors que je venais en tout sincérité, en fan de Guillermo del Toro, voir du fantastique sentimental/drame (dans le rayon des Prédateurs, de Morse, du Labyrinthe de Pan...), je tombe sur le scénario le plus cousu de fils blancs de l'année, où tout est appuyé balourdement pour forcer l'émotion, en l'étouffant immédiatement par l'artificialité des situations, par la lourdeur du traitement. Comment croire à une relation amoureuse inter-espèce quand tout est si violemment et abruptement expédié, encadré ? Car on ne voit sincèrement pas quand la pitié devient de l'amour. Comment croire qu'une femme de ménage s'introduit dans un laboratoire secret gouvernemental à de multiples reprises sans attirer l'attention (elle y diffuse quand même de la musique à plein volume) ? Comment ose-t-on faire une scène de danse parodique de The Artist en noir et blanc avec un monstre aquatique (on s'attendait au numéro de claquettes) ? Et comment Del Toro n'a pas vu que quand il tournait la scène où notre héroïne muette mime l'érection sexuelle du monstre, tout le monde était gêné ? Comment vouloir créer un romantisme sentimentalement efficace et sincère en ajoutant ce genre de détail sexuel qui ramène le corps au milieu de l'envolée romantique ? Pendant cette courte idylle, la créature et la petite muette échangent quelques gestes, mais ont une relation essentiellement corporelle (donc sexuelle). Del Toro voulait surement être audacieux avec une vraie relation furry "adulte" parce qu'il y a du sexe (les ados amateurs de furry apprécieront), il réussit à être gênant, car on ne sait franchement pas quelle est la place des émotions romantiques et celle du fantasme sexuel (vu qu'ils ne peuvent rien partager d'évolué et que le temps est bref). Le tout en essayant continuellement de susciter le sentiment avec des artifices bien visibles qui, sur le papier, avaient l'air bon, et qui mis en images deviennent d'une lourdeur impardonnable. La muette qui aime les claquettes et exprime ses sentiments comme dans Amélie Poulain, non, ce n'était pas le traitement sérieux qu'on pouvait espérer d'un réalisateur chevronné, surtout avec un ton de récit au premier degré (alors qu'on manipule des thématiques qui cultivent nettement plus la nuance et le recul).
Pourquoi alors le film a-t-il l'air de fonctionner sur le public (tout du moins sur les critiques, vu les prix qu'il a ramené), alors qu'il est dans l'exécution le plus mauvais de son réalisateur ? (et j'insiste, Crimson Peak était à des lieues de ce gâchis, ne serait-ce que visuellement, c'est ici vraiment minimaliste). Je pense à deux raisons : les ingrédients et la politique. Les ingrédients, pris indépendamment les uns des autres, fonctionnent au premier degré sur le papier. Si Del Toro avait usé d'un traitement plus subtil, nul doute que la mayonnaise aurait bien mieux pris. Mais avec des ingrédients, les spectateurs qui ont envie de faire de la poésie ont la matière pour se laisser aller. Et enfin la politique. Nombreux sont ceux qui voient dans le méchant une critique de l'ère Trump. Et le parlé frais de Michael Shannon, les allusions au racisme et à l'homophobie bien premier degré (les personnages secondaires n'ont que ça à offrir pour être les gentils)... Tout cela pue l'idéologie politique qu'on nous matraque à la sauvage alors qu'on venait pour ressentir de l'émotion. Au final, un méchant comme celui ci provoque davantage de frustration par les clichés employés que par sa nature profonde, caricaturée à l'extrême (par ailleurs complètement gratuite dans son sadisme et régressive dans ses pulsions de virilité). Un personnage pareil aujourd'hui est pathétique dans un film au premier degré, où il est fabriqué pour être haï (on ne reconnaît pas le del Toro du labyrinthe de Pan qui avec le Capitaine, parvenait à nous faire un méchant manichéen parfois un peu trop rigide, mais totalement cohérent et possédant même ses petites fissures personnelles). Les fissures de Michael Shannon sont des canyons visibles à des kilomètres et l'absence totale de subtilité dans sa caractérisation fait clairement pencher pour une lecture idéologique, où le couple typique américain devient la famille hétéro-beauf par excellence du manuel de militantisme LGBT, avec les détails sexuels salaces bien en évidence pour montrer à l'opposé que l'amour, c'est beau sans conditions (salir la norme pour faire accepter la non-norme). Nombre de spectateurs pourront donc déverser leur petite haine sur la médiocrité de cette Amérique "faussement nostalgique", "hypocrite", "fascisante" (il serait plutôt bon de prendre du recul avec la réussite économique du programme de Trump, mais comme la politique est un sujet clivant...) et s'amouracher de cette belle histoire entre une jeune fille et la créature du lagon noir, mais bon, hein, j'avais un peu plus d'émotions devant Morse ou devant l'échine du Diable, et eux n'avaient pas besoin de rajouter de la politique pour faire du commercial à la mode. Seul personnage à sauver du fiasco, l'agent double qui essaye de donner une tournure humaine aux évènements, et qui connait une fin plutôt efficace en terme sentimentaux. Il joue mal lui aussi bien sûr, mais son personnage me semble assez sincère. Alors qu'un personnage comme le voisin homosexuel est sur des rails scénaristiques prévisibles comme sa drague du vendeur de tartes, conçu dès le départ pour aider l'héroïne par solidarité dans la différence et incapable d'avoir le moindre relief dépassant de son rôle utilitaire. Que peut-on ajouter sur la personnalité de son amie femme de ménage noire, dont l'utilité consistera surtout à se faire intimider par le méchant de service ? Pitié Guillermo, laisse tomber la politique, fais des films de commandes où tu n'as qu'à développer l'univers visuel, ça nous laissera croire à tes talents émotionnels et ton potentiel que nous trouvions tous si sous-exploité...
Une chose est sûre : Daikichi Amano a adoré !
Cherchez ses oeuvres photos sur internet, je pense que c'est le moment d'en reparler ^^
(attention, c'est un artiste adulte).