2018 a encore bien des mois pour briller côté ciné, et pourtant La Forme de l'eau de Guillermo del Toro risque de déjà figurer parmi les films préférés de l'année de bien des spectateurs. On vous dit pourquoi dans cette critique qui reste en surface pour ne rien gâcher.
Pour accompagner au mieux la lecture de notre critique, nous vous invitons à lancer la musique ci-dessous.
[https://www.youtube.com/watch?v=HA8dDFFvOUw][1]
Si vous ne regardez pas la fort sympathique série animée Trollhunters sur Netflix, cela doit probablement faire un petit moment que vous n’avez pas vu une oeuvre signée Guillermo del Toro. L’homme aux multiples casquettes n’a en effet pas fait grand-chose depuis Pacific Rim en 2013 puis Crimson Peak en 2015, et a visiblement depuis préféré se concentrer sur le film qui nous intéresse ici : La Forme de l’eau (ou The Shape of Water en VO, puisque nous l’avons vu en VO comme il se doit). Grand bien lui en a pris, car son nouveau long-métrage où il fait à la fois office de réalisateur, scénariste et producteur est une petite merveille.
Beaucoup d’eau salée mais pas trop de larmes
Dans The Shape of Water, nous sommes en 1962 en pleine Guerre froide. L’intrigue suit Elisa Esposito (Sally Hawkins), une femme de ménage muette qui travaille dans un laboratoire gouvernemental américain secret. Malgré les présences de son amie et collègue Zelda (Octavia Spencer) et de son ami et voisin Giles (Richard Jenkins), notre héroïne a une vie très routinière et solitaire. Mais cela va changer quand elle va découvrir que son lieu de travail abrite une créature humanoïde amphibie avec laquelle elle va se lier malgré les règles et l’impossibilité de parler.
Malgré son contexte historique et sa touche de fantastique, The Shape of Water est donc avant tout une histoire d’amour qui déclare haut et fort que, comme l’eau, l’amour peut avoir de nombreuses formes. Ce mélange fonctionne complètement, et ce même si cet élément central n’est pas votre genre de prédilection.
Il faut dire que même en la retournant dans tous les sens, l’oeuvre de del Toro est difficile à prendre en défaut et évite bien souvent de tomber dans la mièvrerie dégoulinante tout en touchant le spectateur avec finesse.
Que saluer en premier ? Peut-être ce qui frappe dès les premiers plans : la réalisation. La mise en scène, les décors, la photographie…tout dans le travail du réalisateur est léché et un vrai plaisir pour les yeux. Difficile de ne pas avoir envie de vivre à cette époque tant la caméra de del Toro et son utilisation forte des couleurs et des lumières subliment tout ce qui est montré et donne régulièrement un sentiment de mélancolie loin d’être désagréable.
Mais une réalisation aussi solide soit elle ne serait rien sans personnages à montrer et acteurs pour leur donner vie.
Et quels acteurs. La performance de Sally Hawkins qui n’a presque que son visage pour faire passer des émotions est bouleversante aussi bien dans la tristesse que dans le bonheur, tandis que tous les seconds rôles sont impossibles à critiquer. Mentions spéciales pour le méchant angoissant de Michael Shannon qui n’a plus rien à prouver, ou encore Richard Jenkins et Octavia Spencer.
Leurs personnages sont assez opposés – le premier est doux et le second n’a pas sa langue dans sa poche -, mais les deux sont finement écrits. Cette écriture de qualité se retrouve bien entendu dans l’histoire, qui n’oublie d’ailleurs pas d’alléger un peu son propos de temps en temps avec des touches d’humour bienvenues.
En plus d’être touchante et de déconstruire avec intelligence le classique mythe du monstre pour rapprocher nos deux tourtereaux (la créature incarnée par Doug Jones est vraiment très réussie soit dit en passant, tant visuellement que dans son comportement), cette histoire s’avère régulièrement engagée en s’attaquant à des sujets d’époque que l’on connait malheureusement toujours aujourd’hui (intolérance, racisme, homophobie, luttes de pouvoir…etc.).
Del Toro avait visiblement des choses à dire et cela ne fait que renforcer la qualité de son film qui va ainsi au-delà d’une simple histoire d’amour impossible.
Le choix d’Alexandre Desplat à la composition a également été le bon. Le mélange réussi de joie et de tristesse montré par les images se ressent également dans son travail, qui habituellement me laisse personnellement de marbre.
Les quelques pistes d’autres artistes sont également bien choisies et même le (rapide) passage de comédie musical dans le film – genre auquel je suis véritablement allergique – est une réussite, tant il est justifié et bien réalisé. Bref, le son est au diapason avec l’image.
En sortant de la salle, on pourra simplement regretter une scène finale peut-être pas aussi intense qu’espérée, mais comme dit l’adage “l’important, ce n’est pas la destination, mais le voyage”. Les quelques éléments un peu moyens du film (rythme pas toujours parfait, création de la relation entre Elisa et la créature un peu trop rapide, quelques choix osés qui pourraient gêner…) ne suffisent en effet pas à gâcher l’histoire que nous raconte et nous montre avec brio Guillermo del Toro, qui signe ici l’une de ses plus belles et importantes oeuvres.
La Forme de l’eau : tl;dr
Déjà plusieurs fois nommé et récompensé, La Forme de l’eau n’a assurément pas volé son succès rapide. L’oeuvre de Guillermo del Toro respire la maturité et la maîtrise dans presque tout ce qu’elle entreprend.
À moins d’être sourd et aveugle ou d’avoir un coeur de pierre, impossible de rester de marbre devant l’histoire touchante de cette femme solitaire muette et de cette créature échouée dans un environnement qui lui veut du mal pour simplement être différente. Selon vos attentes et goûts, La Forme de l’eau pourra adopter différents états, mais dans tous les cas le résultat sera beau.
Critique originale : https://www.begeek.fr/forme-de-leau-avis-nouvelle-reussite-conteur-guillermo-del-toro-264256