Les premières minutes très stylisées, au montage syncopé décrivant le quotidien de notre héroïne vivant seule, les teintes ocres, la voix off et la jolie ritournelle d’Alexandre Desplat ( où les notes d’accordéon ne semblent jamais loin) font irrémédiablement penser à « Amélie Poulain » ou « la cité des enfants perdus », et on comprend mieux les accusations de plagiat lancées par Jean-Pierre Jeunet.
Mais on peut aussi y voir une déclaration d’amour ultra-référencée au cinéma : on a déjà vu cet univers rétro-futuriste des années 50 dans « Gattaca », on connaît par cœur les contes que Guillermo Del Toro revisite, de la « belle et la bête » à « la petite sirène », il y convoque aussi des classiques de la SF ou du fantastique, de « l’étrange créature du lac noir » à « E.T. l’extra-terrestre » dont il reprend la trame en la transposant dans un monde adulte. Quant à son héroïne muette, elle évoque les débuts du cinématographe, rêve de comédies musicales et vit dans un appartement situé juste au-dessus d’un cinéma de quartier au charme suranné.
Et on est très vite emporté dans l’univers poétique de cette « forme de l’eau », où les monstres ne sont pas toujours ceux qui en ont l’apparence. Dans cette Amérique de la Guerre froide, le réalisateur mexicain nous offre une ode à la tolérance, renvoyant dos-à-dos les deux grands ennemis dans leur manque d’humanisme, dénonçant de manière beaucoup plus subtile qu’un « 3 billboards » l’homophobie et le racisme ambiants et rendant universel le langage des signes.
L’ensemble du casting fait d’habituels seconds rôles est juste, de Michael Shannon en grand méchant particulièrement effrayant, à Sally Hawkins ( sœur de Cate Blanchett dans « Blue Jasmine ») la quarantaine, un physique banal, et pourtant si délicieuse ou touchante Eliza.
A l’image de sa petite musique qu’on peut juger de prime abord anecdotique, puis qu’on finit par siffloter les jours suivants, on ne peut qu’être conquis par ce classique instantané, un grand film exigeant et populaire à la fois, une histoire d’amour ayant le bon goût de ne jamais sombrer dans la mièvrerie, une féérie avec du sang et du sexe, un film fantastique au ton résolument moderne bien que dénué (ou presque) d’effets numériques, un film bio dans une planète ciné goinfrée de super-héros devenus indigestes.

Stanleywhite
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2018

Créée

le 12 mars 2018

Critique lue 176 fois

2 j'aime

Stanleywhite

Écrit par

Critique lue 176 fois

2

D'autres avis sur La Forme de l'eau

La Forme de l'eau
carolectrice
5

Shape of You

Ca fait des mois que Sens Critique nous fait baver devant cette magnifique affiche très énigmatique... alors voilà, ça y est, je l'ai vu le dernier Guillermo del Toro, j'étais allée fortuitement voir...

le 19 févr. 2018

169 j'aime

14

La Forme de l'eau
mymp
4

Waterproot

Les quinze premières minutes augurent du pire, en mode Amélie Poulain, la revanche : ambiance désuète, images ripolinées aux teintes verdâtres, musique d’Alexandre Desplat avec accordéon de...

Par

le 14 févr. 2018

116 j'aime

7

La Forme de l'eau
Moizi
5

#JesuisSamson

Je suis vraiment déçu par ce film, j'adore ce que peu faire Del Toro, mais c'est sans doute celui que j'aime le moins avec Blade II. Alors ce n'est pas mauvais, il y a plein de bonnes choses dans le...

le 19 janv. 2018

113 j'aime

7

Du même critique

Blade Runner 2049
Stanleywhite
9

Critique de Blade Runner 2049 par Stanleywhite

Denis Villeneuve succède à Ridley Scott 35 ans plus tard pour la suite de ce « Blade Runner » devenu entre-temps culte pour beaucoup . Le pari était osé mais le résultat est un petit prodige de...

le 31 oct. 2022

8 j'aime

3

La Loi du milieu
Stanleywhite
7

Critique de La Loi du milieu par Stanleywhite

Malgré un rythme inégal et quelques inévitables effets désuets teintés seventies ( la musique, la pornographie underground), « Get Carter » constitue un sommet du film noir anglais avec un Michael...

le 2 mars 2019

6 j'aime

La Scoumoune
Stanleywhite
7

Critique de La Scoumoune par Stanleywhite

Je ne regarde jamais un film interprété par Belmondo en toute objectivité car il a bercé ma jeunesse et a contribué en grande partie à mon amour du cinéma. On retrouve sa gouaille et son animalité...

le 12 janv. 2019

6 j'aime

1