C’est sur un paysage sous-marin que s’ouvre The shape of water. Les objets flottent dans l’eau doucement, un corps féminin aussi, cheveux ondulants dans le courant, la femme dort paisiblement tandis qu’une voix commence à nous narrer un conte en énumérant les éléments de cette histoire : un prince, une princesse sans voix, une petite ville, un monstre, un conte sur l’amour et la perte. Les éléments d’un conte classique. Sauf que le conte se passe dans les années 60, que la princesse, Eliza, est une femme de ménage muette, que le prince est un amphibien et que le monstre est un monsieur respectable complètement formaté aux valeurs de l’Amérique matérialiste.
A travers cette histoire on retrouve les thèmes chers à del Toro, la forme change, le fond demeure inchangé. Une histoire où les marginaux, les losers (femme de ménage, « nègre », homosexuel) sont capable d’amour et d’amitié et où les hommes bien intégrés et en responsabilités peuvent se comporter de la manière la plus odieuse qui soit. C’est sûr, c’est assez cliché, mais bien des contes le sont...
La « princesse », femme de ménage, est muette et cela a son importance car la romance qui naît entre elle et l’amphibien prend sa source dans les émotions et non dans les paroles, leur relation passe par le regard, par le toucher, par le soin apporté l’un à l’autre.
L’amphibien est en position de vulnérabilité. Capturé par un laboratoire gouvernemental, il est une chose, un objet de recherche, destiné à la dissection et à la mort. Pourtant s’il est faible et captif, il est capable de se défendre et il se révèle être une sorte de « dieu guérisseur ». C’est le personnage qui fait passer le plus d’émotion et d’expressivité.
La relation entre Eliza et l’amphibien est le centre du récit et donne lieu aux scènes les plus poétiques du film. Elle s’apparente à la relation entre la Belle et la Bête et se raccroche ainsi à la lignée des contes anciens. Pourtant le dénouement final ne sera pas celui de la Belle et la Bête. Del Toro comme à son habitude reprend des codes préexistants, mais il les modifie et les traite avec liberté. Et c’est en cela qu’il est intéressant.
Eliza est muette. Elle est aussi blessée dans son corps, elle porte à son cou des cicatrices indices d’une maltraitance qui remonte à l’enfance. Elle a été trouvée, toute petite, dans une rivière avec ces marques à son cou. Elle n’a aucune famille, quasiment pas d’amis et elle vit avec un homosexuel vieillissant et solitaire. Elle est éteinte, mais on sent que sa sensibilité est toujours là prête à s’éveiller. Et c’est au contact de l’amphibien qu’Eliza va naître et s’épanouir. Face à lui, elle ne se sent plus incomplète, handicapée. Il la regarde telle qu’elle est, il la voit et elle se sent vue. Et ce sont finalement à travers ses cicatrices que la libération totale va pouvoir s’effectuer. Symbolique pleine de justesse.
The Shape of Water est riche en thématiques variées comme del Toro en a l’habitude. Il y a par exemple en arrière-plan le mythe de Samson et Dalila, il y a également le contexte géo politique de la guerre froide et bien d’autres thèmes. Je l’ai apprécié sans lui trouver cependant la même charge émotionnelle que j’ai ressentie dans Le labyrinthe de Pan et L’Échine du diable.