Voici un revisionnage très intéressant car je n'avais pas revu ce film depuis sa sortie en salles un jour de mai 1984 ; il a été édité en VHS (je ne l'avais pas revu), mais pas en DVD, seulement dispo en VOD et sur la chaine Paramount Channel malgré une copie de qualité moyenne.
Inspiré d'un roman gothique de Paul Wilson intitulé "le Donjon" (d'où son titre original the Keep), la Forteresse noire s'annonçait comme un trip fascinant et envoûtant de l'horreur lovecraftienne ancrée dans une période historique critique où l'Europe était plongée dans le chaos de la Seconde guerre mondiale. L'action se déroule dans les Carpathes, au sein d'un petit village roumain où des nazis suivis par une horde de SS viennent prendre leurs quartiers ; ils vont être plongés par la cupidité de 2 soldats, dans un péril surnaturel, en réveillant un Golem des temps anciens, en la personne de Molassar, entité maléfique emprisonnée dans les profondeurs, qui va décimer le groupe de soldats. On n'en éprouve évidemment aucun regret vu que ce sont des nazis, seul surnage un sentiment d'inquiétude.
Le film qui à première vue peut faire penser à Predator, reçut un accueil critique international des plus négatif, ce fut un échec commercial avec un déficit de 2 millions de dollars, et en France, il passa pratiquement inaperçu. Et pourtant, une combinaison d'éléments étaient réunis pour en faire un film marquant.
Second long métrage de Michael Mann (après le Solitaire), la Forteresse noire avait selon son réalisateur pour ambition d'être un film d'horreur ultra stylisé et philosophique qui exploite l'intrigue initiale du roman pour livrer une parabole sur le mal absolu. Mais pour le réalisateur, l'aventure confinera au cauchemar. Un tournage interminable, entre les studios de Shepperton (pour les décors intérieurs de la forteresse) et le Pays de Galles, où le village roumain a été entièrement reconstitué au creux d'une carrière d'ardoise désaffectée. Le froid, la pluie pèsent sur le moral de l'équipe, et les prises de vue s'étalent sur un an, suite à d'innombrables problèmes techniques et à la maniaquerie de Michael Mann. L'expérience fut donc très âpre, là-dessus, le décès durant le tournage du superviseur des effets visuels entrainera des retards et des plans mal truqués ou élaborés à la hâte. Le film fut ensuite remonté par les producteurs dans une version courte de 96 minutes rejetée par son réalisateur qui avait prévu et monté un film initial de 3h30.
Tout ceci a rendu le film assez bancal, étrange, où l'on perçoit des manques et des scènes peu compréhensibles à cause d'ellipses éhontées. C'est un film maudit qui en dépit de ce charcutage dû au remontage dont Mann s'est désolidarisé, reste toutefois surprenant et attractif.
Cette fable horrifique conciliant ambiance gothique, horreur graphique et contexte historique de Seconde guerre mondiale est une rare approche réussie d'un univers lovecraftien. A l'aide d'un gros travail sur la photo, les décors et les effets de la créature maléfique qui hante les lieux de cette forteresse glauque, le film possède un aspect visuel superbe et une vision étrange de la peur, offrant aussi un univers insidieux et pervers, enfoui dans un subconscient archaïque, à travers une puissante déité telle que Lovecraft la décrirait, qui est prisonnière de cette forteresse.
Lorsque j'avais vu le film en salles, j'avais été tout de suite fasciné par cette ambiance hypnotique et très particulière installée par Michael Mann, par ce décor étonnant, par la musique envoûtante de Tangerine Dream, et par son casting brillant où Jurgen Prochnow en nazi lucide et Gabriel Byrne en SS cruel se livrent une joute oratoire superbe, de même que Ian McKellen (encore assez jeune), incarne un vieux prof roumain fasciné par la créature, Scott Glenn incarne un curieux Messie surgi de nulle part et à l'apparence christique, et Robert Prosky un pope fanatique de la religion...
La Forteresse noire est l'exemple parfait d'un film qui au départ s'annonce comme ensorcelant et qui devient complètement sabordé quand les dollars prennent le pas sur la création, mais en l'état, il peut être vu en tenant compte de tous ces paramètres qui manqueront un peu à la compréhension de l'ensemble, et qui seront compensés par la beauté formelle des images, par la direction d'acteurs, par les personnages qui représentent un microcosme chaotique, par le décor étrange et froid, par l'ambiance insidieuse et nauséabonde qui y règne, et par la musique hallucinante qui colle parfaitement au propos.

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le 1 août 2021

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Ugly

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