En écrivant sur un film, on est tenté de l'analyser froidement et méthodiquement, trouver son propos dans les signes de mise en scène, disséquer le montage, chaque ligne de dialogue, pour percer le mystère formel et découvrir la raison de notre enthousiasme. Avec ce film-là, je ne peux pas.
J'ai découvert La Frontière de l'aube l'année dernière, c'était mon premier Garrel. Evidemment, il m'a fallu un temps d'adaptation, le film avec lequel on découvre un auteur est toujours une étape marquante, comme un grand saut vers l'inconnu. J'ai sauté du bon côté, j'ai été sidéré par la beauté fragile et dévastatrice du film. Comme un coup de foudre pour un cinéaste amoureux. Depuis, j'ai vu 12 autres films de Garrel, c'est l'un de mes cinéastes de chevet, celui dont je me sens le plus proche. Mais des 13 que j'ai vus, La Frontière de l'aube reste au-dessus des autres. Alors j'ai voulu le revoir, pour être sûr de la véritable force du film, de ne pas m'être emballé trop vite et que le charme n'avait pas disparu.
Je l'ai revu... et voilà ! Que dire en fait ? Que dire d'un film dont on voit les défauts (dialogues maladroits, scénario trop simple) mais qui nous éblouit, qui nous tue, qui nous fait du bien ? Il y a sûrement d'autres gens sur Terre (malgré sa confidentialité, et malgré les railleries cannoises) qui aiment ce film autant que moi, mais très égoïstement j'ai l'impression que ce film m'appartient. Il me parle tellement, et comment l'expliquer si ce n'est pas moi qui l'ai fait ? Pourtant - et à mon grand regret - je ne suis pas Philippe Garrel. Mais si je fais du cinéma un jour, ce sera pour lui, pour ce que La Frontière de l'aube m'apporte. On est cinéphile mais on reste humain, on se veut objectifs, mais que faire quand un film nous désarme ? Moi j'ai décidé de baisser les armes, de me laisser gagner par la beauté et d'oublier tout le reste, de vivre dans un film qui me ressemble tellement. Je suis heureux qu'il existe. Je suis amoureux de ce film.