Ce film d'Yves Robert ainsi que la suite "Le château de ma mère" reprennent avec une remarquable fidélité les deux tomes des souvenirs d'enfance de Marcel Pagnol. On a commencé par les voir au cinoche à leur sortie dans les années 1990, puis on les a eus en cassette vidéo et maintenant en DVD. C'est peu dire que je les connais bien … Le spectacle familial par excellence. Peut-être "ad nauseam" pour mes enfants, à force …
Il s'agit ici de raconter des souvenirs heureux avec le lot obligatoire de rires, de larmes et d'émotion. Lorsqu'on se remémore, plus tard, les souvenirs heureux, la mémoire a tendance à enjoliver la réalité des faits. Certes, il a pu y avoir des difficultés qu'on a surmontées. Et comme il s'agit de raconter une victoire ou une réussite, on peut même exagérer les difficultés et son propre rôle. C'est ainsi que la voix off exprimée par un Jean-Pierre Darras qui a, en 1990, la soixantaine, devient crédible en "grand-père" qui raconte, avec une pointe de nostalgie et d'amusement.
Il en est de même des décors et des conditions de vie. Marseille apparait comme une ville propre et idéale avec des gens forcément sympa car on est dans un registre "c'était tellement bien avant". De même la campagne, à deux heures de la ville, est un univers complètement sauvage où on peut s'évader, s'éclater, vivre l'aventure avec un grand A. Et après tout, pourquoi pas, le spectateur se complait à s'imaginer dans ces temps où on se contentait de joies simples, de conditions de vie précaires. Qu'on aurait bien du mal à accepter aujourd'hui, quand on y réfléchit un peu.
Le casting est parfait en ce sens qu'il couvre parfaitement les personnages tels qu'on peut se les imaginer à la lecture du roman.
Le père Joseph est un instituteur de la laïque, un hussard de la république. Il doit donc tenir une posture ad hoc contre l'adversité (les curés, les perversions, l'alcool, l'injustice, etc). Philippe Caubère, d'origine marseillaise, est parfait dans le personnage un peu psychorigide, un peu donneur de leçons mais qui se fait prendre par son fils en "flagrant délit d'humanité" après son exploit des bartavelles.
Nathalie Roussel à elle seule illumine le film tant son personnage de mère attentionnée, craintive, belle, douce et bienveillante est soigné et réussi. Actrice qu'on reverra avec plaisir dans le deuxième opus ainsi que dans les très beaux films équivalents de Verneuil, Mayrig, dans le rôle de Gayané.
Face à l'austère Philippe Caubère, pardon l'austère Joseph, on trouve l'oncle Jules joué par un truculent, sympathique mais roublard Didier Pain, dans le rôle d'un fonctionnaire à la préfecture, catholique pratiquant mais parfait hédoniste. Bien sûr, les repas de famille tourneraient vite au pugilat s'il n'y avait pas les femmes pour calmer les ardeurs militantes de l'un et de l'autre … Des jeux de posture, rien que des jeux "quand même, je ne peux pas laisser passer, ça". Mais avec l'âge il ne reste plus que le comique de la posture …
Excellents, les seconds rôles Jean Rougerie en brocanteur (le personnage est toutefois plus beau dans le roman) et surtout Paul Crauchet en un inénarrable braconnier, Mond des Parpaillouns. Sa mise en scène est hilarante lorsqu'on le voit de dos ouvrant son imperméable devant deux femmes attentives tel un pervers à la sortie des écoles.
Ce film, c'est une espèce de bouffée d'oxygène où on ne parle que de joie de vivre, de vie en famille, loin des malheurs qui arriveront forcément plus tard. Le genre d'instant fugitif qu'il convient de fixer sur une photo, par exemple, pour s'en souvenir plus tard avec attendrissement et délectation.