Avec les innombrables licenses qu'elle possède, son statut de géant du jeu de construction depuis belle lurette, sa nature même de jouet renouvelable à l'infini et surtout, sa dimension intergénérationnelle, la firme LEGO avait tout intérêt à produire un film pour le grand écran, évolution logique après ses nombreuses incursions vidéoludiques, tant les possibilités à la fois scénaristiques et commerciales n'ont aucune limite avec un matériau pareil. Ne nous leurrons pas, "La grande aventure Lego" est ainsi un gigantesque produit marketing conçu dans le but lucratif de vendre du Lego à la pelle. Mais le résultat, inespéré, prouve cependant que si elle est pensée et réfléchit une seule seconde et confiée à des artistes talentueux, une telle entreprise mercantile peut se révéler incroyablement divertissante et d'une intelligence surprenante.
Alors qu'ils auraient très bien pu se contenter d'illustrer leur point de départ classique (encore une histoire d'outsider qui va prouver sa valeur) par le biais d'un scénario passe-partout dégoulinant de bons sentiments et d'une animation dans le ton de la concurrence, c'est-à-dire sans aucune identité, les trublions Phil Lord et Chris Miller, déjà responsables du délirant "Tempête de boulettes géantes", vont au contraire s'appuyer sur une chose essentielle sans qui le projet ne pourrait aboutir convenablement: la brique de Lego. Tout leur film va ainsi tourner autour de cette simple pièce, autour de son apparence, de son utilisation et même de sa portée.
Renonçant bien évidemment à la stop-motion (cela aurait au moins pris vingt ans), le duo Lord / Miller va donc choisir la voie de l'animation générée par ordinateur, bien plus confortable et rapide, mais sans sacrifier leur vision pour autant, créant ainsi un monde virtuel entièrement fait de pièces de Lego (même les nuages ou l'océan), un microcosme à la fois minuscule et gigantesque où évoluent des personnages à la démarche découlant directement de notre façon d'utiliser ces jouets dans la vie réelle.
Tour de force technique comme on en voit rarement à ce stade, "La grande aventure Lego" est une véritable claque visuelle, tant l'impression de pouvoir toucher ces êtres et cet univers de briques est palpable (le travail sur les textures et les reflets est sidérant), une orgie de couleurs où chaque plan recèle mille idées en lui-même, à tel point qu'il faudra une multitude de visionnages pour y déceler tous les trésors. Alors qu'ils n'ont pour toute expression que deux yeux ronds et une bouche, les protagonistes de l'histoire sont incroyablement vivants, sont vecteur de bien plus d'émotions que beaucoup de comédiens de chair et d'os à l'heure actuelle.
Bourré de références et de caméos, qu'ils soient vocaux (Jonah Hill; Channing Tatum, Shaquile O'Neil...) ou bien évidemment sous forme de Lego (putain, Han Solo et Chewie, mec !!!!), le film de Lord et Miller compense son intrigue basique par une folie de chaque instant, par une énergie fracassante et par un humour délicieusement décalé nous ramenant à l'époque des "Animaniacs" ou des "Tiny Toons", nous offrant un spectacle bariolé aussi drôle qu'euphorisant, porté par un casting vocal du tonnerre, allant de Liam Neeson à Morgan Freeman en passant par Will Arnett, Alison Brie, Elizabeth Banks, Will Ferrell ou Chris Pratt.
Mais la plus grande réussite de "La grande aventure Lego" réside avant tout dans le message qu'il fait passer, par sa dimension presque métaphysique, l'univers carrément orwellien qu'il décrit pendant tout le film, critique timbrée d'une société totalitaire où tout est bien à sa place, où les masses sont abreuvées de spectacles abrutissants, débouchant sur une mise en abîme certes attendue mais d'une intelligence surprenante, confrontant la folie créatrice de l'enfance à la "normalisation" de l'adulte, grand gamin dénaturant, souvent malgré lui, la nature même d'un jouet ayant émerveillé sa jeunesse en le figeant dans le temps, en lui refusant toute évolution, alors qu'un Lego, est, justement, voué à se renouveler.
En incluant sa propre condition de jouet au coeur de son récit (tout tourne finalement autour du principe de construction) et de son aspect visuel, le duo Lord / Miller signe ici le film d'animation le plus pertinent depuis au moins "Happy Feet", épousant parfaitement la nature d'un projet schizophrène pour le transformer en pur délire, en gigantesque récréation à laquelle il faut impérativement participer en version originale et en 3D, la stéréoscopie rendant l'expérience encore plus immersive et les textures palpables.