Censé représenter la Première Guerre Mondiale, La Grande Illusion est tristement prophétique (ou plutôt lucide, en 1937, sur ce qu'il se passe de l'autre côté de la frontière dès 1933) sur le cataclysme d'horreur qu'est la Seconde Guerre Mondiale, en s'avançant sur les conditions des juifs très mal vus par les personnages de toutes nations (même les français ne peuvent s'empêcher, au détour d'une colère passagère, de lancer des insultes antisémites, dont on sent que le scénariste les a piochées dans l'Allemagne de 1933 jusqu'à la sortie du film). Mais, loin de nous mettre le moral à zéro, La Grande Illusion affiche plutôt l'amitié que la haine, préfère parler de solidarité que de massacre : on suit donc le quotidien de quelques officiers retenus prisonniers parmi les soldats "moins gradés" dans un camp allemand. Spectacle de comique troupier (Marguerite, donne-moi ton coeur...), bonne entente (respect franc) entre les allemands et les français mais aussi entre les hauts-gradés et les simples bidasses, plans d'évasion qui progressent peu à peu, on entre dans la vie du camp avec une facilité déconcertante. Jean Gabin est formidable en Lieutenant Maréchal qui trouvera l'amour là où il s'y attendait le moins du monde (on a fondu, on l'avoue), les seconds rôles ne déméritent pas et sont tous mémorables (le petit Cartier qui fait le mariole sans arrêt, le nanti qui aurait pu mener une vie plus simple, les chefs respectables qui refusent de se tirer dessus entre ennemis ou le font avec de plates excuses que l'on devine sincères...). On pourra reprocher justement sa vision "idéaliste" si ce n'est "gentillette" de la Guerre (surtout la dernière minute, très naïve), mais on en a tellement besoin, entre deux films qui nous montrent l'atrocité de cette folie humaine, de cette douceur et candeur qui sont une véritable bouffée d'air frais. Quelques scènes auront même retenu notre attention par leur mise en scène soignée : l'homme travesti qui sort du vestiaire et provoque un saisissement total de ses camarades (on devine qu'ils n'ont plus vu de vraie femme depuis bien longtemps), Jean Gabin qui s'essaye à dire à une petite fille allemande "qu'elle a les yeux bleus" avec autant de maladresse que de sincérité. On se souvient de ces quelques passages avec un soupir bienheureux et empreint de tristesse à la fois, ce doux mélange représentant parfaitement La Grande Illusion. Jean Renoir nous prouve tout au long du film qu'ils ont beau être allemands ou français, officiers ou gradés, tout cela n'est au final qu'une Illusion : ce ne sont que des hommes.