La Grande Illusion est un film d'évasion de prison fascinant à plusieurs égards. On se prend à sourire niaisement devant ce groupe de prisonniers de guerre qui passent leur temps à fanfaronner et à faire des gamineries - au risque peut-être d'oublier que ce sont des officiers, traités avec des égards peu communs, ou de passer dans l'ombre la dureté réelle de cette condition. Il y a également de quoi être étonné de ces moments d'échange interculturel en plein conflit mondial caractérisé par des nationalismes exacerbés, quel que soit le rang des militaires. Ce visionnage frappe aussi par la modernité de certaines scènes : des hommes virils se travestissent en femmes pour défier l'ennui, la gouaille de Gabin n'a pas tant vieilli que ça, Il était un petit navire existe depuis très longtemps et il y avait vraiment l'électricité dans la montagne allemande en 1916 ? La distance qui nous sépare de cette époque semble étonnamment courte, même dans le traitement de sujets comme la mort de l'aristocratie, qu'elle facilite l'arrivée d'un monde nouveau ou lui résiste. Enfin, on sent que le film de guerre n'a pas encore été codifié comme genre, permettant ainsi aux contemporains du conflit d'en donner leur propre vision.
La Grande Illusion est évidemment indissociable du contexte dans lequel elle a été diffusée. Œuvre tragique par sa lucidité, on la savoure d'autant plus qu'on est conscient à quel point l'idée de fraternité a presque disparu d'Europe en 1937. Chaque personnage est à sa place, chaque acteur joue sa partition ; en dehors d'un montage un peu brutal par moment qui nous fait sortir de l'histoire, il s'agit d'un bon film.