Encore un film italien déroutant. C'est avec un plaisir certain que le spectateur lambda se trouve ainsi "floué". À l'image du Bourgeois tout petit petit de Monicelli, encore avec Sordi, Tutti a casa fait le pari gagnant d'emmener le spectateur sur une comédie burlesque, afin de le faire cheminer vers des choses ô combien dramatiques.
On a beaucoup cité la Grande Vadrouille d'Oury, mais j'ai surtout vu dans ce début de film, ce qui semble être l'inspiration la plus évidente à la trilogie de Robert Lamoureux Où est passé la 7e compagnie (qui ne s'éloignera jamais elle de la gaudriole). Le lieutenant Innocenzi (Alberto Sordi), placé à la tête d'une unité au moment même où l'armée italienne se trouve prise en étau entre l'Allemagne nazie (avec son alliance fasciste) et les libérateurs américains. Livré à lui même dans ce marasme, Innocenzi aura dans un premier temps à cœur de mener à bien sa mission (diriger ses hommes, et respecter le code militaire) avant de sombrer dans la résignation et de prôner le chacun pour soi.
La pagaille au sein du commandement italien s'étend à tout le pays, et Comencini ne va pas se limiter à signer une farce militaire où il serait question de sauver sa peau par tous les moyens. La teinte comique de base, existante en grande partie par la seule présence de l'immense Sordi va s'estomper, et si le duo qu'il forme avec Serge Reggiani fait rire plus d'une fois (ah son précieux colis pour la femme du commandant, objet de toutes les convoitises ainsi que sa dispense... de vrais running gags efficaces), Comencini n'a pas l'intention d'épargner le spectateur et il va lui montrer les injustices (horreurs) de cette occupation qui flirte avec la guerre civile.
Ainsi toutes les personnes qu'ils croiseront sur leur retour vers la maison, connaîtront les revers et un destin funeste : La fille au camion plein de farine pillé en pleine ville, le sergent Fornaciari (Martin Balsam) arrêté par les fascistes pour avoir caché un soldat américain (assez peu sympathique lors de la scène de la polenta), Silvia Modena (Carla Gravina), jeune juive orpheline sera arrêtée par les nazis, et le soldat italien qui a essayé de la sauver qui est abattu sans pitié. Ceccarelli (Reggiani) sera également abattu à Naples, à deux pas de chez lui.... La déroute n'est pas que militaire, c'est le pays entier qui en fait les frais.
Cette virée dans la campagne italienne n'enseignera qu'une seule chose à Innocenzi : l'unique option possible dans cette déroute était de rejoindre la maquis. On pense naturellement à la phrase de Churchill "Vous avez eu à choisir entre la guerre et le déshonneur ; vous avez choisi le déshonneur, vous aurez la guerre".
L'envie de revenir à la maison et de retrouver une vie normale étant impossible quand les seuls choix qui s'offrent sont le fascisme ou le maquis. Si tentant que fut de jeter ses habits militaires pour retrouver les pantoufles, aucune tranquillité n'est assurée, Innocenzi le comprend quand son père lui propose d'enfiler la chemise noire...
Dès lors, c'est le maquis qui viendra jusqu'à lui, à la fin du film avec cette scène de bataille dans les rues napolitaines (événement qui sera traité dans la bataille de Naples de Nani Loy).
Comédie dramatique - on ne saurait faire de définition plus juste - et mémorable, Tutti a casa laisse un goût étrange. Un mélange de rire et de désespoir comme seul le cinéma italien en avait le secret de fabrication. Tisser une comédie efficace autour de sujet grave et politique (au hasard Les camarades de Monicelli sur la lutte des classes) constitue un tour de force qu'on rencontre de moins en moins souvent au cinéma.