La grande pagaille, ce sont les conséquences de l’armistice de Cassibile, en 1943. Un épisode étrange (si l’on peut ainsi épithéter une guerre), honteux en Italie & méconnu en-dehors, durant lequel le pays a quitté les Forces de l’Axe & connu deux occupants : les États-Unis & l’Allemagne. Déchiré politiquement, la patrie n’a plus connu de guerre que des combats volontaires confinant à la guerre civile, & que le réalisateur ramène à l’invividu : les fascistes étaient-ils bornés ou persévérants ? Les autres étaient-ils lâches ou raisonnables ?
Comencini s’intéresse à ce qui fait des humains de tous ces soldats en proie au dilemme, dépeignant des militaires désemparés qui traversent leur propre pays sans plus avoir l’impression d’être à leur place nulle part, ni d’avoir encore le moindre ami. Belle pagaille en effet, mais belle vadrouille aussi. Le tournage en constant mouvement étire le temps pour y étaler le drame d’une guerre qui a perdu la tête, traitée sans la dérision de notre grande vadrouille : l’humour doit y être rare, presque arrogant (Sordi a évincé tout autre comique du casting) & imposer la légèreté avec force, car rire en temps de guerre ne doit pas être autre chose qu’un répit.
Alors oui, l’humain émerge : un humain dur derrière des dialogues bavards & l’extravagance à l’italienne, presque contraint à une nature empathique où les frontières fondent d’elles-mêmes sans que la politique n’y soit pour rien : le bilinguisme devient roi, aussi bien avec les quelques mots de charabia anglo-italien qui unissent deux soldats découvrant que, dans la pagaille, ils ne sont pas ennemis, qu’avec le latin du prêtre disant la messe pendant qu’il cache ses compatriotes – lui, il voit l’humain tout court, & pas de camps.
À circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles : le monologue avec le regard braqué sur la caméra est même autorisé comme si l’œuvre invitait par la transgression de l’art celle qui permet l’indulgence dans les temps difficiles. Pour le spectateur qui n’avait rien demandé & spectatait juste avec respect & curiosité, c’est un vrai frisson. Beaucoup plus mémorable sous son titre français, Tutti a casa est la plus belle pagaille qu’on pouvait imaginer au cinéma, & à juste titre considéré comme une des plus grandes réussites de Comencini – en même temps qu’un immense film de guerre historique.
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