On a du mal à se défaire de l’idée que ce n’est pas Poiret qui réalise La Gueule de l’Autre. Quand on les connaît, lui & Serrault, & qu’on voit au générique ”un film de Jean Poiret réalisé par Pierre Tchernia”, ce n’est pas juste l’archaïsme dans la façon dont est crédité le scénariste qui nous frappe : on a l’impression que c’est lui partout & que Tchernia est juste là pour assurer la cohésion.


D’ailleurs, Poiret joue son rôle de coach en communication discret comme un réalisateur-acteur l’aurait fait, mais ce n’est pas lui, ”l’Autre”. Serrault se joue deux fois : deux cousins, l’un grand politique (Perrin), l’autre comédien minable (Brossard), qui contiennent toute la dichotomie politique d’une époque où les face-à-faces télévisuels concurrençaient une publicité aussi invasive que porteuse.


Les deux cousins vont bien sûr échanger leurs rôles – on ne demande que ça au cinéma français, au point que la jonction est tenue pour acquise & n’est pas forcément très claire ; j’ai cru à l’ouverture d’une longue séance de rêve lorsque Poiret a entremis les deux parents dans le micmac politique du CIP (les Conservateurs Indépendants Progressistes, les fameux) & j’ai eu du mal à me trouver dans le décalage un peu léger qui ne sait pas s’il doit représenter ou décrier, rapporter ou parodier.


Une fois Brossard devenu Perrin, la question va se poser de qui joue qui. Faire de la politique ne paraît plus si dur, mais ce n’est pas une raison pour que le politique tombe de haut quand il atterrit dans une vie de prolétaire pourchassé. C’est la dualité indulgente de Tchernia qu’on a diluée après coup dans son éclectisme, celui-là même qui sépare un instant Serrault de sa voix nasale & qui fait du cœur du film un grand bazar touche-à-tout. Je le dis avec attachement, mais quelquefois l’histoire avance par à-coups, poussée au train par une affaire criminelle qui a raison de tenir sa place de fil rouge : c’est déjà tout juste si ce n’est pas de trop.


Les gags sont du coup proéminents. On aura notre content de scènes cultes, le duo a du brio, il y a une destination à tout & des variations très bien vues dans les domaines de la patrie & de l’actualité qui donnent au film sa paradoxale intemporalité bien ancrée dans son temps.


C’est une grande comédie qui évite de détacher l’humour d’une interprétation terre-à-terre, se libérant ainsi d’un usage qui n’arrivait pas à homogénéiser l’humour avec son contexte réel (quoiqu’on en ressent encore les effets dans quelques gueulements révélateurs dont il nous faut croire l’inaudibilité d’une pièce à l’autre pour les besoins narratifs). Tout le monde voit ce que Perrin-Brossard fait de travers & toute action à son petit rôle à jouer.


Peut-être l’œuvre doit-elle son défaut à ce trait en particulier, sa propension à tout compter pour vrai parmi les petites choses alors qu’elle évolue par la déformation de plus grandes. Si l’affection qu’elle nous évoque ne nous suffisait pas à la défendre, on pourrait encore la voir comme un contrepied à Les Gaspards, car La Gueule de l’Autre est plus drôle, moins exagéré, & mieux dosé.


Quantième Art

EowynCwper
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le 30 déc. 2019

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Eowyn Cwper

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