Évidemment ce n’est pas le film de Pialat que je revois facilement (c’était ma troisième fois) mais c’est l’un de ses plus beaux à mes yeux, l’un de ses chefs d’œuvre. Peut-être son plus radical, aussi.
C’est un grand film sur la mort. Un film cru, nu, dur, cruel, violent, et paradoxalement un film très tendre (avec chacun de ses personnages) tant il porte un regard pragmatique, sans ornements poétiques, symboliques ou naturalistes. C’est un film à l’os.
Après avoir filme l’agonie du couple dans Nous ne vieillirons pas ensemble, avec La gueule ouverte Pialat filme la lente agonie d’une femme atteinte d’un cancer incurable, assistée de son mari et de son fils.
L’idée c’est donc de reléguer rapidement cette femme (Monique Mélinand), la cinquantaine, dans sa chambre située au-dessus de la mercerie familiale. Elle n’existera dès lors plus en tant que personnage sinon en tant que celui qui se meurt.
Il s’agit de vivre cette agonie aux côtés de son entourage : Son mari (Hubert Deschamps) et son fils (Philippe Léotard) donc, mais aussi sa belle-fille (Nathalie Baye). Mais eux continuent (ou tentent de continuer) de vivre malgré tout, tout en passant voir la malade à l’hôpital à Paris d’abord puis la mourante dans sa chambre en Auvergne ensuite.
Quand bien même le film soit rythmé par la souffrance de la mère, sa voix qui se tut, son teint qui s’éteint, ses râles et sa respiration permanentes, ce n’est pas Bergman et ses « Cris et chuchotements » puisque les personnages autour d’elle continuent de vivre, de travailler, de baiser, manger, boire, fumer, évoquer le passé. Et même après, tout reprend, le rituel de la mise en bière, la discussion autour des fleurs pendant la réception funéraire. La vie continue.
Les scènes sont souvent saisies en de longs plans séquences, parfois fixes, sublimés par la photographie de Nestor Almendros, qui parvient à capter cette banalité de la mort, la fulgurance d’une fenêtre ou d’un papier peint. Et régulièrement la nuit, l’obscurité.
Le film est par ailleurs extrêmement cadré, et ce dès le premier plan où Léotard est dévoré par le cadre clinique d’un hôpital, relégué dans un petit coin bord cadre gauche. Ou bien lorsque la femme meurt et que des infirmières viennent la changer : on ne voit que ce corps, pas sa tête, masquée par la table de chevet.
Il y a très peu de plans dans La gueule ouverte. Souvent c’est une séquence, un plan. Et ce même si la séquence s’installe et dure (une dizaine de minutes) comme celle, vers le début du film, où mère et fils sont posés à table et évoque certains souvenirs avant de se taire en écoutant « Cosi fan tutte » de Mozart.
Scène bouleversante mais on pourrait en citer d’autres : Le fameux travelling du départ de chez les parents, quand la voiture quitte « La maison de la laine », puis les rues du village puis finit par s’engager sur cette longue départementale bordée de peupliers. Ou bien cette longue scène où l’on entend plus qu’une simple respiration, qui envahit la pièce, le cadre. Ou celle la cérémonie avec ce plan incroyable dévoilant le cortège puis la famille derrière la pierre de l’église.
Comme Nous ne veillerons pas ensemble il s’agit pour Pialat d’exhumer ses propres démons : Ici c’est bien entendu du décès de sa propre mère dont il parle. Par ailleurs le film est en grande partie tourné dans un village auvergnat non loin de son village natal.