En 1970, Pierre Granier-Deferre dirige deux films avec Jean Gabin. Cette collaboration dope la carrière du cinéaste, alors qu'au contraire la retraite est proche pour l'acteur (sa dernière apparition sera pour 1973, hors L'Année sainte de 1976). Parmi ces deux films, Le Chat est le plus connu, où Gabin et Signoret incarnent un couple de seniors à la dérive. Cousin du western et du vigilante américains, La Horse le précède dans le temps et est davantage oublié. Etant avant tout un drame rural anti-moderne et thriller réglé d'avance, il n'est pas très facile à vendre.
L'ambiance et la partition de Gabin font tout son intérêt. Le pacha interprète Auguste Maroilleur, un vieux propriétaire terrien, agriculteur et patriarche impitoyable. Sa fermeture et sa dureté sont à l'origine des complications mais aussi de leur résolution ; c'est sa rigidité qui met en péril la vie de son fils, initié au trafic de drogue (la 'horse' désigne l’héroïne). Face aux pressions des truands, le normand répondra non. Pour faire comprendre qu'il ne négocie rien, il n'hésitera pas à employer des moyens définitifs. Face aux institutions prenant l'affaire en charge, il sera un bloc mutique.
Cette confrontation amène donc à l'opposition du pays « réel » à celui « légal », en plus de présenter une justice ad hoc, où la nécessité et l'attachement font loi. Cette résistance du pays réel ne montre pas son visage le plus joyeux, souligne son manque de glamour et d'adaptabilité au sens large, mais fait la démonstration de sa puissance. Gabin/Maroilleur est presque un mort obstiné, compliquant l'existence de son entourage et s'interdisant de nombreuses opportunités. En même temps, gueulard quand il faut, toujours froid et résolu, il jouit d'un ancrage total. Le lien à la terre définit sa fonction et ses occupations, il engendre aussi une identité et une condition psychique.
Il donne un sens à la vie et tonifie des présences humaines. Le film captive graduellement (l'enquête et les menaces objectives ont un intérêt limité) parce que cet esprit l'habite. Il est communiqué avec poigne et sans effets. Le montage manque parfois de nervosité, la technique d'élaboration, en revanche la musique (de Gainsbourg et Jean-Claude Vannier) est remarquable et apporte une touche autrement pittoresque à cette incursion dans le terroir. Signé par un cinéaste traditionaliste parfois proche de la misanthropie (La métamorphose des cloportes en 1965), cet opus est paradoxalement un de ses plus lumineux. En effet, La Horse donne une idée des vertus du fatalisme, en montrant les constructions positives exigées par une telle conscience.
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