Fatalement, lorsque l’on connait la série, il est presque inévitable de faire un parallèle entre La Isla Mínima et True Detective. Ce retour dans le passé, ce duo, cette atmosphère, cette affaire sordide… On retrouve les mêmes ingrédients qui ont fait le succès et la réussite de la série. Bien sûr, considérer La Isla Mínima uniquement comme un True Detective espagnol est assez réducteur et facile. Dans sa construction, le film d’Alberto Rodriguez suit le même schéma, avec la narration de ce quotidien difficile et cette progression laborieuse dans une enquête qui ne cesse de se heurter à des murs. Cependant, La Isla Mínima puise sa force dans son contexte et son approche de cette période de troubles pour l’Espagne, qui dote le film d’un référentiel plus riche et varié.
Cette vision d’une Espagne en reconstruction, après la chute du franquisme et la laborieuse mise en place de la monarchie parlementaire, ouvre la voie à de nombreux discours sur des questions de justice et sur la nature humaine. La difficile transition du franquisme à la démocratie espagnole moderne se sent dans tous les plans, dans les réactions des personnages et dans les dialogues. Tout ne s’est pas fait en un jour, loin de là, et on voit que le fantôme de la dictature hante encore les esprits. C’est ce ton très désabusé et plein de souffrances que l’on retrouve dans le Zodiac de David Fincher ou dans le Memories of Murder de Bong Joon-ho, des films qui s’appuient sur des contextes sociaux et politiques difficiles pour mettre en exergue les tensions qui habitaient la société à l’époque. On découvre alors un monde qui cherche à s’imposer des règles mais qui s’évertue à les bafouer, nous sommes à la frontière entre un monde primitif sans foi ni loi, et la construction d’une société moderne et structurée.
C’est pour cela que La Isla Mínima dispose d’une filmographie crépusculaire, avec des teintes chaudes et des jeux de lumière prononcés, visant à envelopper le spectateur dans une atmosphère lointaine et obscure. C’est à la fois la fin d’un monde et le début d’un nouveau, une imagerie et un discours que l’on retrouve notamment dans les westerns américains, qu’il s’agisse de La Prisonnière du Désert de John Ford, L’Homme des Hautes Plaines de Clint Eastwood, ou même le récent Hostiles de Scott Cooper. Le fond et la forme se mêlent pour que l’enquête, trame principale du film, soit transcendée par la vision sociologique d’Alberto Rodriguez et cette représentation d’une société balbutiante et anxiogène.
La Isla Mínima réussit donc le pari d’être un polar convaincant, un tableau d’une époque sombre pour l’Espagne, et de véhiculer un discours sur les bases poussiéreuses et sanguinaires sur lesquelles se sont construites la société moderne. L’intrigue est prenante, et la photographie est sublime, avec de nombreux plans qui méritent d’appuyer sur pause pour en profiter quelques instants, notamment les plans aériens, dont certains font penser, dans leur forme, à des coupes de cerveau humain. Une manière de montrer que l’on va bel et bien insister à un examen de la complexité de la nature humaine ? Dans tous les cas, voilà, encore, un film qui mérite d’être plus connu.