Deux flics à la mine taiseuse, se retrouvent affectés dans un village terreux, dans la profonde Espagne des années post-franquistes. Des disparitions, des meurtres, des cadavres, des champs marécageux, plusieurs suspects: tout est réuni pour une enquête policière fascinante..mais classique.
Cependant l'essentiel ne se situe pas là. Rodriguez s'est clairement émancipé du genre. Le film tourne surtout autour de l'affrontement entre les deux hommes, qui ne parviendront jamais à être de vrais partenaires. Véritables tour de force, les dialogues sont peuplés de non-dits. Les silences sont plus significatifs que les mots. Le tableau est magnifiquement dressé.
L'un, ancien tortionnaire franquiste, cherche à jouir de sa vie qu'il sait crépusculaire (on le voit malade, on comprend qu'il fait face à sa mort, dans des plans quasi-psychédéliques sur le monde qui l'entoure-puissant). L'autre, jeune idéaliste, tente tant bien que mal de nier la sauvagerie qu'il a en lui, la même qu'il juge et condamne chez les autres (elle surgira dans une superbe scène où il devient lui-même l'humble spectateur de ce que l'homme a en lui, tout au fond).
L'intrigue semble découpée en chapitres. Les césures sont en réalités ces formidables plans d'ensemble sur les paysages d'Andalousie vue d'en haut. En bas, on aperçoit d'abord les labyrinthes qui irriguent les marécages, comme les veines d'un monde asséché. Puis des écrins de verdure. Et finalement, la Isla Minima, sorte d'île-cimetière, scène finale du film.
Seul petit bémol, le film peine à convaincre dans son propos historique. Autant ne pas faire autant mention de Franco et de son héritage, si c'est pour rester à la surface et, inévitablement, se vautrer dans les clichés.
Mais c'est vite oublié, tant le reste est impressionnant de maîtrise, tant la lenteur générale est délicieusement mise au service du duel psychologique et de son ambiance. Pour moi le meilleur polar de l'année pour l'instant