L'étrange lueur d'une arme sur ton corps

A travers une Espagne émancipée de ses démons franquistes, La Isla Mínima met en scène deux flics que tout oppose, dans une atmosphère sinueuse aux paysages déroutants. La prouesse de Alberto Rodríguez n'est pas tant d'imager une enquête policière funeste, mais plutôt de personnifier la déroute prétendument insondable d'un univers en pleine transition. Un pays saisi d'un second souffle mais dont les reflets cafardeux trahissent une fracture profonde entre identité trapue et nouvelle impulsion, à l'image de ces deux enquêteurs à la réputation ombrageuse, qui se perdent eux-mêmes entre leur instinct et un lieu en fusion retranché sur lui-même. Où la force chirurgicale est celle de la violence à tous les niveaux, et la lueur d'un ascendant sur l'autre qui pousse aux pires décisions.


Dans des décors invulnérables et insaisissables, nos héros sans cesse rattrapés par leur passé tentent de résoudre une affaire scabreuse qui peine à interpeller le spectateur, tant ce dernier s'attarde sur les engrenages labyrinthiques des protagonistes qui se débattent, au sens propre comme au figuré, dans des marécages bien trop dangereux pour eux. La photographie, prépondérante, domine tous les sujets traités, des silences causeurs à la pluie qui empêche toute délimitation des idées, métaphore de chemins intimes indécis et partiaux. Si les révélations qui jonchent cette oeuvre sont poussives et chétives, il en reste une mélodie pudique mais absolument puissante pour nous raccrocher aux branches lorsque certaines écritures nous semblent parfaitement inaudibles.


La Isla Mínima présente un passé en décomposition, où les fantômes de nos erreurs tentent parfois de briser le cou des valeurs nouvelles que l'on se fixe, où tout est toujours nuancé, où rien n'est jamais acquis et tout répond à l'urgence d'une déflagration indolore, d'un principe répudié par un événement qui nous change en surface. La Isla Mínima est une oeuvre majestueusement écrite lorsqu'elle s'épanche sur son rapport à soi-même, bien plus intéressante que dans son rapport à l'autre ou ses affres judiciaires, et très sensorielle grâce à une réalisation formidablement domptée. Une forte représentation d'existences en déséquilibre, où les maux remplacent les âmes, où les armes remplacent les mots.

EvyNadler

Écrit par

Critique lue 476 fois

14
1

D'autres avis sur La isla mínima

La isla mínima
pphf
8

L'Espagne, demain

La Isla minima s'ouvre sur une voiture immobilisée, en panne sur un chemin de terre, coincé entre les eaux ; puis, avec deux hommes, silencieux, à distance, dont rien n’indique qu’ils sont ensemble ;...

Par

le 19 sept. 2015

63 j'aime

7

La isla mínima
HarmonySly
7

Critique de La isla mínima par HarmonySly

S'il ne brille pas par une intrigue des plus renversantes, La Isla Minima compense en donnant à voir des séquences à la précision chirurgicale, ainsi qu'à la beauté plastique époustouflante. Couplé à...

le 3 juil. 2015

53 j'aime

15

La isla mínima
Shania_Wolf
8

Spanish Detective

J’ai quasi-instantanément voulu comparer ce film à True Detective, mais après le gars qui a présenté le film en a parlé, et du coup c’est fichu maintenant. Merde. Mais comme heureusement vous n’étiez...

le 3 juil. 2015

20 j'aime

Du même critique

Her
EvyNadler
8

Mauvaise foi

Bon déjà je tiens à préciser que je voulais mettre 5 dès le début. Avant même la première minute. Enfin dès le début quoi du coup. Oui je sais, c'est pas digne d'un critique, c'est pas digne d'un...

le 22 juil. 2014

232 j'aime

21

Eternal Sunshine of the Spotless Mind
EvyNadler
10

Un petit bijou de vie plein de poésie...

Jim Carrey prouve une fois de plus qu'il n'est pas qu'un trublion. C'est surtout un immense acteur avec une palette d'émotions immense. Kate Winslet, elle, livre ici une de ses plus belles partitions...

le 24 avr. 2014

165 j'aime

12

Juste la fin du monde
EvyNadler
8

FAQ Xavier Dolan - Comprendre et apprécier Juste la fin du monde

Parce que je n'arrive pas spécialement à remettre toutes mes idées en place, parce que je n'arrive parfois pas à séparer le négatif du positif dans ce film, et surtout parce que je n'ai aucune idée...

le 22 sept. 2016

134 j'aime

12