A travers une Espagne émancipée de ses démons franquistes, La Isla Mínima met en scène deux flics que tout oppose, dans une atmosphère sinueuse aux paysages déroutants. La prouesse de Alberto Rodríguez n'est pas tant d'imager une enquête policière funeste, mais plutôt de personnifier la déroute prétendument insondable d'un univers en pleine transition. Un pays saisi d'un second souffle mais dont les reflets cafardeux trahissent une fracture profonde entre identité trapue et nouvelle impulsion, à l'image de ces deux enquêteurs à la réputation ombrageuse, qui se perdent eux-mêmes entre leur instinct et un lieu en fusion retranché sur lui-même. Où la force chirurgicale est celle de la violence à tous les niveaux, et la lueur d'un ascendant sur l'autre qui pousse aux pires décisions.
Dans des décors invulnérables et insaisissables, nos héros sans cesse rattrapés par leur passé tentent de résoudre une affaire scabreuse qui peine à interpeller le spectateur, tant ce dernier s'attarde sur les engrenages labyrinthiques des protagonistes qui se débattent, au sens propre comme au figuré, dans des marécages bien trop dangereux pour eux. La photographie, prépondérante, domine tous les sujets traités, des silences causeurs à la pluie qui empêche toute délimitation des idées, métaphore de chemins intimes indécis et partiaux. Si les révélations qui jonchent cette oeuvre sont poussives et chétives, il en reste une mélodie pudique mais absolument puissante pour nous raccrocher aux branches lorsque certaines écritures nous semblent parfaitement inaudibles.
La Isla Mínima présente un passé en décomposition, où les fantômes de nos erreurs tentent parfois de briser le cou des valeurs nouvelles que l'on se fixe, où tout est toujours nuancé, où rien n'est jamais acquis et tout répond à l'urgence d'une déflagration indolore, d'un principe répudié par un événement qui nous change en surface. La Isla Mínima est une oeuvre majestueusement écrite lorsqu'elle s'épanche sur son rapport à soi-même, bien plus intéressante que dans son rapport à l'autre ou ses affres judiciaires, et très sensorielle grâce à une réalisation formidablement domptée. Une forte représentation d'existences en déséquilibre, où les maux remplacent les âmes, où les armes remplacent les mots.