1980, après la dictacture de Franco, l'Espagne se cherche une nouvelle identité, encore fragilisée par l'époque douloureuse franquiste. Société affaiblie cherchant à se reconstruire, corrompue, entre cartel de drogue, police du coin, et multiples freins, c'est dans ce contexte que deux enquêteurs méneront l'enquête où des jeunes filles, rêveuses et amoureuses seront les proies d'un serial killer.
Cette intrigue, qui finalement ne récèle rien de bien original, est une réussite par sa maîtrise de la construction, de son rythme, de multiples détails et pistes et offre un scénario dense et solide, propre à nous ballader, (et à nous perdre parfois...) un peu comme ces plans, très photographiques, vus du ciel sur les marécages et autres routes qui peuvent rappeler la complexité du cerveau humain et par là la complexité de leur enquête. Ses couleurs crues et sa musique lancinante nous transportant aisément dans ce microcosme silencieux, marécages, désert, servis d'une touche poétique et fantastique, de séquences sur la nature pour un arrêt sur image, ou encore de cette médium improbable, qui contribuent, comme ces trés beaux plans aériens, à ralentir le rythme particulièrement soutenu. La beauté de ces images permet d'amener une belle opposition avec des couleurs bien plus sombres une fois redescendu "sur terre" et dans la réalité. La paranoïa due à la dictacture se révèle par des décors froids et photos de dictateurs rajoutant à cet entre-deux.
Il est facile de faire le rapport entre les deux policiers, qui incarneront les deux visages, celui du passé et celui du présent de cette Espagne bancale. Javier Gutiérrez et Raúl Arévalo, sont parfaits, sans que ce binôme ne se dirige dans la voie de l'amitié et n'ira jamais au-delà de leur relation purement fonctionnelle. Ce détail apporte une meilleure crédibilté de ce que peut être réellement les rapports de deux enquêteurs, bien contrastés, pas franchement enclins à se congratuler l'un l'autre, et n'amènent pas non plus à une franche empathie, rajoutant à un certain réalisme. La personnalité duale de Juan, parfois inquiétante, renforce le flou dans lequel ils naviguent, entre silences et vieux drames non élucidés. L'acteur apporte une grande subtilité dans son jeu, que l'on oscille entre la sympathie et le rejet.
On retrouve, par le biais des séances photos des jeunes filles, un rapport au voyeurisme que mettait en scène Alejandro Aménabar, autre metteur en scène espagnol, en 1996 avec "Tesis", drame bien plus gauque et malsain, qu'ici, une belle luminosité et de grands espaces éloignent du cadre et de l'ambiance de "Tesis". Ils se rejoignent pourtant dans ces mises en scène franches et directes, évitant tout effet accessoire ou romancé. Comme le font aussi très bien les coréens quand il s'agit de disséquer leur société. Une scène de grévistes est là pour rappeler les difficultés socio-économiques dans lesquelles se trouvent les travailleurs de ce petit bout de terre.
Le désert lors d'une petite course à pied ou celle en voiture, à l'aveugle, toute en tension, sont superbement filmés, pour le peu d'action que réserve ce polar et un duel final tout en suspense.
Les femmes quant à elles, sont les victimes que ce soit par ces jeunes filles assassinées que par la mère de celles-ci, sous l'autorité de son mari et qui pourtant sera un atout important à l'enquête, n'en finit pas de croiser le passé de ce pays avec son présent, où les femmes chercheront à s'émanciper.
Un beau final, par le regard de Pedro sur Juan, qui finit d'abandonner le lourd passé pour tenter d'avancer (?).
Alberto Rodriguez, nous transporte hors du temps avec réussite et démontre le talent du cinéma étranger.