Dès le début d’Isla mínima, une image nous vient en tête : la première saison de True Detective, autant pour la géographie que pour la photographie.
D’une part, nous sommes dans les marais menaçants qui entourent le fleuve Guadalquivir en Andalousie ; d’autre part la Louisiane rurale, ses paysages, son bayou et sa population.
En plus de cela, la trame est assez similaire puisque deux policiers arrivent d’une autre zone (Madrid dans notre cas) pour enquêter sur le meurtre brutal et mystérieux de deux adolescentes. Tandis que, dans True Detective, il s’agit d’élucider le meurtre d’une jeune femme coiffée de bois de cerf et tatouées de dessins sataniques.
On ajoute encore un ingrédient dans le parallélisme : les personnages. En effet, nos deux policiers espagnols ont des caractères passablement similaires à ceux de Cohle et Hart : Pedro est ambitieux, solitaire, idéaliste et guidé par une logique de fer dans les enquêtes sur les homicides ; tandis que Juan est le collègue plus intuitif et plus violent qui aime boire et manger.
Évidemment, un tel film, bien qu’il s’impose de manière consciente et mesurée à cette atmosphère américaine tout en restant un film de genre, met en évidence avec une grande richesse thématique l’Histoire complexe du pays même du réalisateur, alliant la reconstruction d’une mémoire et d’un passé.
Le choix est donc de raconter l’Espagne des années 80’, pays en pleine transition politique (de la dictature de Franco à l’adoption de la démocratie). Cette fragilité et cette ambiguïté sont métaphorisées et intériorisées à travers les deux protagonistes qui ne peuvent se définir comme « gentil » ou comme « méchant ». Le jeune Pedro (Raúl Arévalo) représente le « démocrate », la nouvelle Espagne (exemple : quand il voit un crucifix avec des photos d’Hitler et de Franco, il le referme immédiatement afin de le reléguer dans les tréfonds d’un passé à oublier), alors que Juan (Javier Gutiérrez) est le « fasciste », coupable et partisan d’un vieux système (il faisait partie de la Brigade sociale et politique sous la dictature). Franco, à cette période, était encore bien présent dans la mémoire du peuple espagnol et en conditionne le fonctionnement et la réflexion avec une pointe de nostalgie, comme si le passé continuait à retentir lugubrement. Un pays autant anxieux d’oublier qu’incapable d’évoluer.
La Isla Mínima possède un noyau métaphysique fort qui traverse le film et accapare le spectateur avec une force poétiquement brute. Les thèmes importants sont la Mort et le Mal : le vieux Juan est malade en phase terminale et s’intéresse particulièrement aux oiseaux. Ces derniers, dans les légendes païennes, sont les animaux symboliques transportant les âmes mortes dans l’au-delà. Les immenses espaces ouverts des champs et des marais sont repris selon un quadrillage aérien et plongé où la terre se transforme en une ligne complexe qui s’étend en un labyrinthe rappelant subtilement le système nerveux. Enfin, l’histoire se déploie petit à petit, nous enveloppant dans une ambiance aussi intrigante qu’inquiétante, nous immergeant dans un monde sale et malsain, où chacun a un côté obscure qu’il désire cacher aux yeux des autres.
(traduction et adaptation personnelles d’un texte d’Alexine Dayné - http://www.framedivision.com/archives/1330)