Comme un con, j'ai raté mon rendez-vous avec La Jetée de Chris Marker. Ado, j'avais enregistré la diffusion de l'Armée des 12 Singes de Terry Gilliam sur France 2, et je me souviens être repassé devant l'écran en me disant "ha merde, le film est fini, y a un documentaire photographique en noir et blanc chiant qui passe." Et d'avoir coupé l'enregistrement. Quelques années plus tard lorsque j'appris que j'avais arrêté là un film culte qui avait inspiré le film que je venais d'enregistrer, je me suis sentis con.
Du reste, je ne me suis pas ennuyé devant La Jetée : Et pour cause, en tant que fan de Doctor Who ayant cherché à en voir les classiques perdus, le coup du récit de SF illustré par des photos en noir et blanc, j'ai déjà donné. Et en plus, ici, c'est fait exprès et ça passe crème. Du reste, j'avais déjà utilisé le procédé pour faire une parodie de film de SF, sans prendre le temps de voir le film de Chris Marker. Maintenant, c'est fait.
Du reste, lorsque je lis les critiques de la Jetée, je comprends que les gens n'ont rien compris au génie de Chris Marker. Les mecs qui te parlent d'oeuvre poétique intemporelle, de cinématographie qui instille de la beauté, de "voyage dans le temps au propre comme au figuré" sont des ânes bâtés et certainement des étudiants en cinéma. (Pléonasme.)
Chris Marker à compris un truc avec la science fiction que des cons n'ont toujours pas compris en 55 ans : Si ton histoire est bien foutu, pas besoin de gros moyens. Fonctionnant à fond sur l'imaginaire du spectateur, 6 ans avant 2001 l'Odyssée de l'Espace, 5 ans avant Star Trek, voire un an avant Doctor Who, Chris Marker nous fait un monde apocalyptique tourné dans des caves, des instruments scientifiques à base d'un masque en coton et d'une tige de fer et des êtres du futur qui sont tout juste des mecs avec une goutte de peinture sur la figure et filmés à travers une vitre.
Y a tellement pas d'effets spéciaux et tout est baigné dans une atmosphère tellement lente, que le moment où l'actrice principale cligne des yeux, t'as l'impression d'un tour de force. D'ailleurs, même pas besoin d'engager des comédiens qui savent bien jouer : du moment qu'ils ont une bonne figure et qu'ils savent prendre la pause, ça marche. Le procédé le plus rachitique de l'histoire du cinéma.
Mais ça fonctionne. Grave. Parce qu'on est bercé par la voix de Jean Négroni, par l'atmosphère bizarre (que renforce le côté "petit budget") et par la musique. Et parce que c'est bien raconté, tout simplement, à la manière des récits radiophoniques et des nouvelles de sf, avec une phrase finale qui ponctue le sens de l'histoire. (Je suis prêt à frapper très fort ceux qui vont me dire "ouais, c'est pas de la science fiction, c'est de l'anticipation." Avec une option "gros cailloux qui fait mal sa race" si mon interlocuteur a fait des études de cinéma.) Alors, certes, Marker s'amuse avec son joujou et il y a des passages qui font presque "on a fait une visite au musée avec des copains, j'avais des jolis photos en trop alors je vous ai mis ce qu'il y avait en plus vu que les clichés étaient réussis."
Du coup, voilà, nous sommes en 1962. La France vient de prouver qu'elle est capable de faire la science fiction, intelligente, réflexive, avec un procédé qui ne demande quasiment aucun moyen. Qui décide de suivre et de faire un truc dans le même genre ? ... Personne ? ... Les gens ont préférés mettre à part ce moment avec du "houlalalala, c'est trop poétique, c'est trop exceptionnel pour être reproduit" et se sont mis à sacraliser l'oeuvre en la plaçant dans le cadre du "film expérimental."
En 1995, Terry Gilliam fait une (bonne) relecture du film et nous on bouge pas. On se contente de dire "c'est vrai, c'est nous qui avions eu l'idée avant." En sous-entendant limite que l'oeuvre première était meilleure, mais sans jamais se dire "putain, mais on pourrait se servir de cette base pour faire des trucs." Non non. On bougera pas notre cul. On laisse même la relecture de Gilliam pourrir en une série de SF vaguement naze (qui pour le coup, n'a aucune espèce de rapport avec le cours métrage d'origine.)
"La jetée" : Où comment faire mourir une idée, donner un blanc-seing aux anglais pour faire de la SF innovante et aux américains une SF tape à l'oeil qui nous dégueulera encore des effets spéciaux à tour de bras. Et on laisse croire à deux générations de crétins et d'étudiants en cinéma que SF = gros budget.
En France, on a pas de pétrole, on a des idées, mais on en fait rien.