Le parti pris formel, qu’on pourrait même qualifier d’expérimental, est souvent un principe qu’on peut juger « inventif » et « intéressant » : il fallait y penser, ça n’a pas encore été fait ; en somme, cela devient un bon exemple pour dissertation sur l’histoire du cinéma.
Ici, donc, le roman-photo, mais sous la forme d’un court métrage auquel vont donc s’adjoindre bruitages, voix off pour la narration, et musique.
Après les premiers clichés, du générique, qui nous conduisent à prendre la mesure de la construction de l’image, notamment dans les structures aéroportuaires, la narration se met très vite en place par le jeu de la durée d’exposition des photogrammes. L’image est finalement tout sauf fixe, et la première « séquence », celle du souvenir d’enfance, propose un découpage esthétique aussi magnifique que puissamment diégétique.
« Ceci est l’histoire d’un homme marqué par une image d’enfance », annonce le carton initial. Rarement on aura vu une osmose aussi forte entre le fond et la forme. Images fixes prises d’un après-monde, où la vie n’est plus qu’un souvenir, rapport au temps expérimental, déstructuré par la science : ainsi, la visite du museum d’histoire naturelle donne-t-elle à voir des animaux empaillés, eux-mêmes figés à jamais, des oiseaux aux ailes déployées.
Film noir et désenchanté sur le rapport au passé et la triste marche du monde contemporain, la souffrance et l’inhumanité, La Jetée est certes un excellent film de science-fiction.
Mais c’est surtout un écrin à l’une des plus belles évocations de l’éveil à l’amour. La série de photogrammes qui dévoilent progressivement Hélène Chatelain est bouleversante de pudeur dans sa quête d’une restitution du regard amoureux. Au centre du film, lorsqu’on la regarde enfin véritablement de face, les photogrammes sont si proches que nait l’impossible, le mouvement, à travers un battement de cils. Cet éloge du regard, ce réapprentissage de la grammaire filmique est l’une des plus grandes déclarations d’amour faite au cinéma. « Cinéma », « émotion », « dramaturgie », autant d’éléments fondateurs du film qui ne sont que les diverses traductions d’un même, celui du mouvement, quête absolue de ce chef d’œuvre atemporel.