La Jetée peut être comparé à une rencontre. Mais pas celle que l'on fait de manière banale au coin de la rue. Il fait plutôt partie de la catégorie hors du commun, qui vous marque, vous laisse une trace indélébile quelque part dans la tête. Cette rencontre, je l'ai fait il y a des années de cela alors que j'étais un jeune cinéphile. J'ai eu envie de la revivre à nouveau.
Indéniablement, Chris Marker offre une oeuvre qui s'inscrit comme incontournable. La Jetée plonge le spectateur dans un cinéma expérimental avec une succession d'images figées que seuls des mouvements de caméra, la narration et la musique semblent donner vie à tout instant. Le cinéaste a d'ailleurs l'extrême humilité d'appeler son oeuvre un roman-photo et non du cinéma, mais qu'importe, de la sorte, Marker permet une nouvelle utilisation de la technique et de l'image.
Le fond et la forme se rejoignent à travers ce cinéma expérimental. Outre donc ce que je viens d'expliquer sur la manière dont l'oeuvre est réalisée dans le paragraphe précédent, il est bien question d'expérience au niveau du fond. Après la Troisième Guerre mondiale, les gens sont utilisés à travers leurs souvenirs pour prendre contact avec le passé ou le futur dans le but de sauver un présent à l'agonie, après la destruction de la planète.
Marker propose une oeuvre d'une profonde richesse questionnant par là d'une part le rôle des souvenirs dans la vie d'un être humain, leur côté tronqué et leur réalité quand ils se rappellent à nous, mais également ce temps qui passe inexorablement et sur lequel on aimerait agir pour pouvoir en tirer des avantages.
La Jetée va bien plus loin évidemment que le simple postulat sur le temps. A travers l'histoire de cet homme que l'on suit et dont l'histoire est racontée, on évoque l'amour dans un monde appelé à devenir que chaos et ruine. La manière surtout dont Marker parvient à créer des images marquantes est remarquable. Et surtout la recherche du regard et de l'expression parfaites sont d'une précision à couper le souffle. L'actrice Hélène Châtelain est pour cela extraordinairement mise en valeur par le cinéaste.
Cet amour naissant, léger face à l'importance de la mission de l'homme est d'un contraste saisissant. Si le fil rouge de l'histoire va être évidemment deviné par les spectateurs, mais qu'importe, son final n'en demeure pas moins tout aussi marquant.
Marker offre au monde un peu moins de trente minutes un récit intelligent évoquant le temps, l'aseptisation d'une société, la destruction humaine, l'amour et le bonheur. Comme le héros du film ne peut s'échapper du temps, le spectateur lui peut imprégner cette oeuvre dans sa mémoire de manière intemporelle.
C'est d'ailleurs avec ce qualificatif que l'on peut qualifier le mieux La Jetée. Marker offre un film inusable, qui ne s'oubliera pas dans les tréfonds du passé.