Le cinéma est un miracle. Et lorsqu'un film peut mettre en lumière ce qu'il y a de miraculeux dans le cinéma, l'on atteint des sphères prophétiques qui dépassent de loin les limites de la fiction. Le cinéma est un miracle. Et finalement, ceux qui en firent la plus belle expérience étaient sans doute en train de fuir L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat, place de l'Opéra en 1896. Ils avaient peur d'être écrasés par le train, l'image en mouvement naissait.
L'histoire est celle d'un homme, cobaye d'expériences scientifiques dans les sous-sols d'un Paris dévasté par la troisième guerre mondiale, qui sera amené à côtoyer ses propres souvenirs. Lors de cette éprouvante aventure, notre protagoniste tisse des liens de plus en plus étroits avec un souvenir, une femme. A chaque retour dans sa mémoire, elle semble plus nette. Le but des scientifiques qui mènent cette expérience est de pouvoir créer un pont temporel afin de se servir des ressources du passé (et du futur). Par là, le film nous explique déjà son ambition : ramener le spectateur dans la mémoire du cinéma pour lui faire vivre le privilège de le voir naître ! Pour se faire, la technique s'adapte au propos, et les souvenirs de la femme se clarifiant sont rendus par la fluidité grandissante dans le défilement des images fixes. Cela jusqu'au moment de grâce - celui qui, pour moi, élève ce film au rang de monument - lorsque le souvenir de la femme s'anime le temps de quelques battements de cils, au réveil. Durant cinq secondes, l'image bouge, et le miracle a lieu.
Un frisson mystique me fait frémir de la tête au pied. Les gens qui s'étaient encourus devant l'arrivée d'un train en gare de La Ciotat, c'était donc ça ! Le prodige est là, et je l'ai vu naître le temps de cinq secondes qui furent des plus puissantes jamais vécues devant un film.
Héraclite le disait déjà, une chose est son contraire. Le chaud et le froid ne sont pas seulement liés, ils sont les extrémités d'une seule et même chose, autant que la vie et la mort. Il aura fallu que Marker choisisse le statisme pour faire comprendre le mouvement peut-être mieux que jamais dans l'histoire du cinéma (de l'expérience que j'en ai faite du moins). Comme il aura fallu que le protagoniste arpente ses propres souvenirs pour parvenir à comprendre sa propre fin, c'est en cherchant à appeler le passé au secours du présent que le futur se révèle dans les méandres d'une mémoire qui est hors du temps.
Un chef d’œuvre.